Chaos cognitif, démocratie fragilisée
Dr Maxime MAURY officier des Palmes académiques professeur affilié à Toulouse Business School ancien directeur régional de la Banque de France

Chaos cognitif, démocratie fragilisée

par Maxime MauryProfesseur affilié à Toulouse Business School – Ancien directeur régional de la Banque de France

Chaos cognitif, démocratie fragilisée

« Il n’est personne à qui le déclin de l’ordre ne soit funeste. » ( Ernst Jünger).

La résolution de nos problèmes se heurte à un étrange paradoxe : nous n’avons jamais disposé d’autant de moyens pour nous instruire et nous informer mais pourtant nous semblons collectivement de moins en moins intelligents.

Notre vision collective s’appauvrit; elle se radicalise jusqu’à rendre impossible tout diagnostic partagé et donc toute orientation pertinente et consensuelle. Nos polémiques nous paralysent.

Le sociologue Gérald BRONNER a expliqué cette contradiction dans son ouvrage : « Apocalypse cognitive » (chez PUF) qui souligne notre difficulté à comprendre notre environnement et à prendre les bonnes décisions en conséquence.

Cette ignorance provient, pour beaucoup de nos concitoyens, d’une incapacité à traiter, classifier et hiérarchiser la masse toujours croissante d’informations dont nous sommes assaillis.

Les raisons en sont multiples :

L’affaiblissement et l’appauvrissement de l’expression en langue française se combine à l’irruption du langage informatique, sommaire et binomial dans un franglais jargonnant. La prolifération d’une information non assimilée rend actuelle la belle citation de René CHAR : « L’essentiel est en permanence menacé par l’insignifiant ». Ou encore : « Le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. »

Dans notre société où toutes les autorités sont battues en brèche règne la défiance; les opinions y sont plus importantes que les faits. Pierre RONSAVALLON évoque dans un ouvrage récent ( « Les épreuves de la vie » chez SEUIL) le règne des émotions…..

Les réseaux sociaux les alimentent de manière tribale, en circuits fermés dominés par l’outrance et les fausses nouvelles.

Ainsi sommes-nous entrés, comme l’affirment certains philosophes, dans l’ère de la « post-vérité ». La vérité étant essentiellement affaire de nuances, de subtilité et de documentation, le bel ouvrage de Jean BIRNBAUM affirme la difficulté du « courage de la nuance » (chez SEUIL). Ce courage exige beaucoup de caractère face à une meute de commentateurs abreuvés d’outrances et de buzz. Ainsi de l’assimilation du pass sanitaire à l’étoile jaune ou à l’apartheid…….

Puisant sa force dans le déni de la vérité et le simplisme, le populisme menace la démocratie et propose, comme dans les années 1930, des boucs émissaires à immoler ( en ce moment, les médecins, les laboratoires, le vaccin et le président sur fond d’antisémitisme …..)

Il en résulte pour « l’honnête homme » une perte de sens. D’où le risque d’absentéisme.

Le chaos cognitif dans lequel nous évoluons était illustré récemment dans un dessin de presse. On y voyait deux pingouins deviser. Le premier disait à l’autre : « Voici les faits ! ». Et le second de lui répondre :

« Les faits sont violemment démentis par mon opinion ! »

Nous en sommes là dès lors que toutes les opinions se valent et ne sont plus fondées sur les faits, ni sur le travail austère et patient de la Raison. C’est Montesquieu qui affirmait que « la démocratie est fondée sur la vertu ». L’amour du vrai et du bien qui appelle le raisonnement méthodique recherchant l’intérêt public.

Ainsi les médias adorent-ils les faux débats au mépris des débats essentiels. Car la polémique fait toujours recette financièrement et politiquement !

Trois sujets d’actualité illustrent notre manque collectif d’éducation :

  • le vaccin ,
  • le travail ,
  • l’énergie nucléaire.

    I) Le vaccin :

Au pays de PASTEUR, l’opposition au vaccin est reine, c’est un paradoxe cognitif absolu.

La France bat le record du monde d’opposition au vaccin. Les 15-20 % de personnes hostiles, ou très réticentes au vaccin, nous empêcheront-elles d’atteindre l’immunité collective ?

Ainsi accostai-je un ami âgé et obèse dans la rue en lui demandant de ses nouvelles : « Tu es vacciné au moins ? ». Il me répondit l’air courroucé : « Pas assez de recul ! ». Je lui fis gentiment remarquer que près de 5 milliards de personnes étaient primo-vaccinées dans le monde et il tourna les talons coupant court à tout échange.

L’invention du Français Louis PASTEUR a permis dans ma génération d’éradiquer 11 maladies endémiques dont la tuberculose, la variole, la polio etc….. avec le vaccin obligatoire.

Impossible d’échanger aujourd’hui avec les antivax et l’on retrouve ce « courage de la nuance » devenu inaccessible : en effet, la prouesse technologique des vaccins à ARN messager -dont le principe a été découvert dans les années 1960 par deux prix Nobel français ( professeurs Jacques MONOD et François JACOB)- devient suspecte (« trouvés trop vite » !).

Rappelons que les vaccins à ARN messager ( étudiés depuis 30 ans) ne peuvent pas pénétrer l’ADN; l’ARN messager n’entre pas dans le noyau des cellules, il ordonne au génome la production des protéines pseudo-virales puis se dissout très vite en laissant les anticorps désirés.

Les vaccins sont des médicaments très sûrs. C’est pourquoi l’épidémie est devenue en France une épidémie de non-vaccinés comme l’atteste l’analyse des soins critiques ( 90% sont des non- vaccinés). Le pass sanitaire a permis d’endiguer l’épidémie au début septembre.

On retrouve avec le vaccin « l’apocalypse cognitive » de BRONNER comme l’observation de René CHAR précédemment citée. Face à une information surabondante, mal présentée, désordonnée et donc mal digérée, beaucoup ne retiennent que le négatif en perdant de vue l’essentiel : Comment vaincre le virus ?

Le risque majeur est que la lenteur de la vaccination, ou son incomplétude, ne favorisent les mutations d’un pathogène qui, en circulant trop, finira par échapper au vaccin. Jusqu’au prochain vaccin ……

La religion de l’audimat et la drague de l’électeur portent une lourde responsabilité dans ce chaos cognitif qui empêche la recherche du bien public.

On se donne en spectacle en jouant la comédie grotesque de la « dictature sanitaire » et de « l’atteinte aux libertés ». On manifeste finalement contre la science et pour l’obscurantisme.

II) Le travail :

Dans un des pays les plus endettés du monde, nous travaillons peu, et ça ne pourra pas durer.

Selon l’agence STANDARD AND POOR, la France serait le deuxième pays le plus endetté au monde. L’endettement net des entreprises est deux fois plus élevé qu’en Allemagne ; l’endettement public atteint 117 % du PIB contre 70 % outre-Rhin. Avec une crise sanitaire dont la fin est reportée à 2022-2023, l’endettement va s’accentuer.

Comment faire face à ce mur de dettes sans travailler davantage ?

Or au cours des 20 dernières années, notre taux de chômage a été deux fois plus fort qu’en Allemagne; et pourtant 43% des entreprises françaises disent toujours ne pas trouver de main-d’œuvre (selon les enquêtes de la Banque de France). Situation aberrante s’il en est.

La retraite est à 62 ans en France et la moitié de la classe politique va faire prochainement campagne pour « la retraite à 60 ans » (!) alors qu’elle sera prochainement portée à 65-67 ans dans tous les pays de la zone euro.

Cette situation est absurde compte tenu de l’évolution démographique.

En résumé, nous entrons tard dans la vie active, nous en sortons tôt, nous chômons beaucoup et travaillons peu.

Nul besoin d’un prix Nobel d’économie pour comprendre que l’on ne pourra pas s’en sortir ainsi.

Le « courage de la nuance » devrait cependant faire observer qu’au cours des 10 dernières années les salaires ont progressé trois fois moins que les gains de productivité (comme signalé par l’économiste Patrick ARTUS). Les salariés ne sont pas assez associés à la gestion des entreprises ni assez rémunérés.

D’où la malédiction du travail qui n’est pas suffisamment reconnu. C’est ce cercle vicieux que le général DE GAULLE entendait briser dans son discours révolutionnaire du 24 mai 1968 : « Je veux que les salariés deviennent des sociétaires. » C’est toujours ce qui nous reste à faire !

III) Le nucléaire :

Alors que nous étions les champions de l’énergie nucléaire, nous avons démantelé cette filière en nous enfonçant dans une impasse énergétique.

Or pour stabiliser le climat nous devons réduire de moitié d’ici à 2030 nos émissions de carbone. Rude tâche qui met en cause la pérennité de la démocratie !

Si vous devez vous faire opérer en 2030, le chirurgien vous dira peut-être : « Désolé, depuis 15 jours il n’a pas fait de vent et il a plu tout le temps, nous manquons d’électricité, revenez le mois prochain ! »

Les éoliennes et le solaire ne sont pas des énergies décarbonées car il faut des terres rares et du carbone pour produire leurs supports qui nous placent, par ailleurs, dans la dépendance de l’étranger.

Leur taux de retour énergétique est beaucoup moins fort que celui du nucléaire. Et ce ne sont que des énergies intermittentes !

Au démantèlement par nos dirigeants de notre filière nucléaire s’est ajouté l’abandon de la recherche de pointe où nous avons longtemps excellé.

Le projet « ASTRID » de réacteur à « neutrons rapides », lancé par Jacques CHIRAC ( quatrième génération), a été injustement abandonné en 2019. Il consomme pourtant théoriquement quatre fois moins d’uranium enrichi que les réacteurs précédents et carbure les fameux déchets toxiques qui tiennent sur un terrain de football.

Tout cela est une histoire absurde et tragique. Car le dérèglement climatique va nous demander de plus en plus d’énergie (pour dominer les catastrophes naturelles) au moment où nous allons en manquer.

On retrouve sur le nucléaire cet obscurantisme des opinions par rapport aux faits : l’accident de Tchernobyl concernait une centrale d’un tout autre type ( centrale au graphite) et Fukushima résulta d’ un tsunami, et non d’ un accident nucléaire à proprement parler.

Mais peu importe , l’opinion a décidé que le nucléaire c’était mal ! Il est donc condamné.

Dans un petit livre remarquable ( cf « 40 ans d’égarement» chez Odile JACOB), Jacques de LAROSIÈRE décrit le déclassement français.

Il montre que notre déclassement économique est corrélé avec notre déclassement éducatif ( et donc cognitif).

En 1975, notre revenu par habitant était au 5 ème rang mondial, nous sommes aujourd’hui au 26 ème. Notre industrie et notre commerce extérieur se sont effondrés.

Quelques chiffres sur notre déclassement éducatif : lors de la dernière enquête PISA sur l’enseignement des mathématiques , la France se classait au 26 ème rang sur 70. Alors que nous représentons 13 % de la population active de l’Union européenne, nous n’avons que 10% des scientifiques européens. Pour la compréhension de la lecture, l’enquête PIRLS nous classe au 34 ème sur 50 !Enfin, nos premières universités parviennent rarement à dépasser le 40 ème rang mondial.

Face à cette « défaite de la pensée » ( cf FINKIELKRAULT ) que reflète le chaos cognitif, L’Éducation (au sens large et avec une majuscule) devrait redevenir la grande priorité de la France dans le prochain quinquennat.

Comme au temps des « hussards noirs » et de Jules Ferry , la République est à reconstruire dans l’effort éducatif sans lequel il n’est plus de citoyens ni de démocratie.

 

 

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