Un leadership régional au Sahel est-il possible ?

 

Coups d’État à la chaîne au Mali, mort du président tchadien Idriss Déby après trois décennies passées à la tête du pays, neutralisation des chefs d’ AQMI (Al Quaida au Maghreb Islamique) et de l’ EIGS (Etat Islamique au Grand Sahara), réalisation avec succès de la première transition démocratique de l’histoire du Niger, ré-articulation du dispositif français et potentielle arrivée de mercenaires russes ; en quelques mois seulement, le paysage politico-sécuritaire sahélien a été remodelé dans les grandes largeurs.

Demeure une constante, l’insécurité. La violence, les raids éclairs orchestrés par des djihadistes à moto et le fracas des engins explosifs improvisés (EEI) continuent de rythmer le quotidien de cette région qui compte parmi les plus pauvres du monde.

Pire, la menace djihadiste semble s’étendre toujours plus au sud. Partie d’Algérie dans les années 1990, elle est aujourd’hui durablement implantée au Sahel et gagne peu à peu les pays du Golfe de Guinée tels que la Côte d’Ivoire ou le Bénin.

La France, leader international prêt à passer la main.

Face à cette menace alarmante, les initiatives locales et internationales se sont multipliées. Bien sûr, l’opération Barkhane, laquelle essuie les critiques nombreuses et véhémentes des commentateurs internationaux depuis plusieurs mois, est la plus médiatisée. Mais elle n’est pas seule. Se trouvent ainsi à ses côtés la Force conjointe du G5 Sahel (FCG5S), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ou encore la mission de formation de l’Union européenne (EUTM) au Mali.

Dans ce « mille-feuilles sécuritaire », la France assure, aujourd’hui encore, le leadership international.

Mais l’objectif annoncé de réduire de moitié les effectifs présents sur zone (actuellement 5 100 hommes et femmes) tout en fermant certaines emprises au nord, traduit la volonté française de maintenir une présence qui serait moins visible, moins sujette à critique en ce qu’elle s’inscrit dans une perspective multilatérale, européenne voire internationale, et surtout en ce qu’elle se concentre sur des actions de formation. Pour le dire autrement, la France, qui travaille depuis des années en vue d’ériger une « bretelle de sortie », est prête à passer la main.

Est-ce à dire qu’un pays de la région pourra demain se saisir de ce rôle de leader ?

Des États affaiblis et des dirigeants en manque de légitimité

Le Mali, théâtre de deux coups d’État en moins de 12 mois, ne dispose ni de la stabilité ni de la légitimité pour assumer actuellement un quelconque leadership. Pointée du doigt par la CEDEAO, Bamako a également vu ses relations avec Paris se dégrader nettement depuis quelques mois. Plus encore que les tensions nées du tour de force opéré par le colonel Assimi Goïta, c’est l’annonce par Emmanuel Macron de la ré-articulation du dispositif français qui a véritablement « mis le feu aux poudres ». Les autorités maliennes ont dénoncé devant l’ONU un « abandon en plein vol », une forme de trahison qui les aurait contraintes, selon le Premier ministre Maïga, à envisager la contractualisation d’un partenariat avec la Société militaire privée (SMP) Wagner. Cette perspective d’une irruption russe dans le jeu sahélien risque cependant de marginaliser encore un peu plus les dirigeants maliens en ce qu’elle inquiète, au-delà de Paris, la majorité des partenaires impliqués dans la résolution de crise au Sahel, qu’ils soient Européens, Américains ou Sahéliens.

Au sud, le Burkina Faso ne semble pas non plus être candidat à un quelconque leadership, lui qui apparaît plutôt comme le maillon faible de la chaîne sécuritaire sahélienne. Cible privilégiée des terroristes, le pays, qui dispose par ailleurs des plus petits effectifs militaires de la région (environ 11 000 hommes), a enregistré le 4 juin 2021 l’attaque la plus meurtrière (au moins 160 victimes) depuis son entrée dans la spirale terroriste en 2015.

Un acteur tchadien incontournable

Pendant longtemps, Idriss Déby a été le principal soutien de l’action française. Fort de l’armée la plus nombreuse (entre 40 et 60 000 hommes) et la mieux aguerrie de la région, il annonçait encore quelques mois avant sa mort l’envoi de 1 200 soldats supplémentaire dans la « zone des trois frontières », identifiée comme prioritaire depuis le Sommet de Pau de janvier 2020.

Le Tchad peut-il pour autant prétendre au rôle de locomotive régionale ? Certes, Mahamat Déby, fils du défunt président, a succédé à son père en affichant le même volontarisme militaire. Oui, le Tchad assure actuellement la présidence tournante du G5. Mais Mahamat Déby se trouve fragilisé en ce que son accession au « Palais rose » a été perçue par une large partie de la communauté internationale comme un coup d’État, comme l’instauration d’un régime dynastique contraire à la constitution (et notamment à son article 81). Ou plutôt, le Président tchadien, à la tête du Conseil Militaire de Transition (CMT), se trouvAIT fragilisé… Les considérations de bonne gouvernance n’ont pas résisté longtemps aux impératifs qu’impose la realpolitik. L’apport militaire et l’importance stratégique du Tchad sont tels que les différents interlocuteurs du pays semblent aujourd’hui parfaitement s’accommoder de la présence au sommet de l’Etat de Mahamat Déby. Le Tchad a d’ailleurs bien compris que le désinvestissement français lui donnait une carte à jouer et a par exemple décidé d’augmenter son contingent au sein de la MINUSMA. Il conviendra toutefois de surveiller comment évolue la transition puisque le CMT s’est engagé à organiser, sous 18 mois, une élection.

Niger, nouveau champion régional ?

La meilleure dynamique, du point de vue des standards occidentaux, est peut-être à chercher du côté du Niger. D’abord, contrairement à ses homologues tchadien et malien, le Président Bazoum jouit du crédit que seule procure une élection démocratique, crédit encore rehaussé en ce qu’il s’agit de la première transition démocratique de l’histoire du pays.

Ensuite, le Niger apparaît aujourd’hui comme la pièce maîtresse du dispositif des deux grands alliés internationaux que sont la France et les Etats-Unis. Alors que les bases du Nord-Mali (Kidal, Tessalit et Tombouctou) sont amenées à disparaître avec le recalibrage de la présence française, Niamey accueillera la base de Takuba, groupement de forces spéciales européennes appelé à devenir le fer de lance de la lutte antiterroriste internationale au Sahel. Pour ce qui est des Etats-Unis, c’est également au Niger, à Agadez et Niamey, que sont basés les drones Reaper américains.

Enfin, en terme de leadership politique, le Président Bazoum n’hésite pas à donner de la voix en alliant fermeté et ouverture sur la scène régionale. Très critique vis-à-vis de la transition militaire en cours au Mali (là où Mahamat Déby est nécessairement plus réservé) et de la possible implication de Wagner dans la résolution de crise au Sahel, le chef de l’État a également tendu la main à l’Algérie dont il se murmure qu’elle pourrait être amenée à jouer un rôle plus actif avec la fin de Barkhane comme OPEX.

Demain, quel rôle pour l’Algérie ?

Il est assez surprenant d’observer à quel point l’on a peu parlé de l’Algérie au moment d’aborder la résolution de crise au Sahel ces dernières années.  Pourtant, en plus d’être la deuxième armée du continent derrière l’Egypte, l’Algérie partage plus de 2 700 kilomètres de frontières avec les pays du G5 (1 300 avec le Mali, 950 avec le Niger, 460 avec la Mauritanie), et a accueilli les accords de 2015 entre le gouvernement malien et la Coordination des Mouvements de l’Azawad. D’ailleurs, selon le Président Abdelmadjid Tebboune « la solution malienne est à 90% algérienne ».

Cette relative mise en retrait était alors systématiquement interprétée comme une conséquence du principe algérien de non-ingérence. Mais, d’une part, ce principe a été remis en question par la modification de la constitution initiée par le président Tebboune en décembre 2020 et, d’autre part, combien même serait-elle encore en vigueur, la non-ingérence ne retirerait pas tout rôle à l’Algérie dans la résolution de crise.

Premièrement, les récentes tensions entre Paris et Alger rappellent le rôle de facilitateur (où à l’inverse de perturbateur) que peut jouer l’Algérie pour tous les acteurs internationaux, ne serait-ce qu’en délivrant ou en refusant des autorisations de survol de son territoire. Deuxièmement, les renseignements algériens jouent un rôle de premier ordre et auraient d’ailleurs été impliqués dans la neutralisation du chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, en juin 2020. Troisièmement, il convient de garder à l’esprit que les forces algériennes mènent également des actions de formation au profit des armées locales.  Il est vrai que l’on pourrait imaginer une Algérie davantage impliquée, une Algérie volontariste allant se saisir d’un leadership à tout le moins politique dans la sortie de crise. C’est en fait précisément la tendance qui se dégage actuellement comme l’illustrent certains signaux dont la nomination au poste de Ministre des Affaires étrangères d’un spécialiste du Sahel en la personne de Ramtane Lamamra,

Un passage de relai entre Paris et Alger pourrait induire un changement de feuille de route sur des sujets hautement sensibles tels que l’ouverture de négociations avec certains groupes terroristes comme le GSIM (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans) d’Iyad Ag Ghaly. Là où Paris refuse de « négocier avec les terroristes » selon la célèbre formule, Alger voit dans la discussion une étape nécessaire à la mise sur pied d’une solution politique au Mali et, par effet domino, dans les pays alentours. Peut-être Alger, Niamey, et d’autres, aux avis moins tranchés que Paris, se mettront d’accord à ce sujet.

Maxime HALVICK

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