Quelles menaces pèsent sur l’Afghanistan après vingt ans de présence américaine ?

 

 

La poudrière afghane

Au lendemain d’une élection présidentielle américaine éprouvante et marquée par la pandémie, le nouveau locataire de la Maison blanche, poursuivant l’engagement de son prédécesseur, a annoncé le 14 juin dernier le retrait progressif des quelques 1000 soldats stationnés en Afghanistan (sur un total de 2500 militaires américains encore présents dans le pays avant l’annonce de Joe Biden).

Ce retrait, censé être effectif le 11 septembre prochain, a lieu 20 ans tout juste après les attentats qui ont fait près de 3000 morts, pétrifié les États-Unis et l’Occident dans son ensemble et, par voie de conséquences, mis le Moyen-Orient à feu et à sang.

Après 20 ans d’une présence à l’efficience contestée, avec ses milliers de victimes civiles et militaires, son coût astronomique, sa corruption galopante, des décennies d’affrontement entre les Occidentaux et les mouvements islamistes, encouragés jadis à chasser les Soviétiques de ce pays, la retraite précipitée, sinon la défaite des Etats-Unis et de leurs alliés de l’OTAN n’alimente que peu de débats et de polémiques dans le monde occidental.

En effet, Washington a désormais les yeux rivés sur ses rivaux chinois et russe, tandis que les critiques provenant à la fois des camps républicains et démocrates concernant la « surmilitarisation » de la politique étrangère américaine depuis plusieurs décennies ont créé un consensus d’ensemble au sujet de ce retrait, qui n’est plus la priorité du gouvernement depuis une dizaine d’années.

Le retour en force des Talibans

Cette situation fragile nourrit désormais un climat de panique généralisée à Kaboul, qui provient en grande partie de l’avancée colossale des Talibans ces 2 derniers mois : ils contrôlent maintenant plus d’une centaine des 421 districts du pays et se rapprochent de la capitale, qui pourrait tomber entre leurs mains dans les prochains mois. S’ajoutent à cela leurs attaques répétées contre les populations civiles et les infrastructures (tels que les pylônes électriques, qui, une fois détruits, privent les Afghans d’électricité) et le renforcement de l’Etat islamique à la frontière afghano-pakistanaise qui, dans une stratégie de rivalité perpétuelle vis-à-vis des Talibans, cible notamment des écoles et des hôpitaux à coup d’attentats sanglants contre les populations chiites.

L’inquiétude généralisée a fait naitre une mobilisation croissante de la population afghane, dont une partie fait le choix de prendre les armes, par manque de confiance dans les institutions et le gouvernement délégitimés et au vu de l’avancée talibane vertigineuse, qui fait peser une pression psychologique sur la population.

S’ajoutent à cela les affres de la pandémie et le manque criant de vaccins, qui contribuent également à la démoralisation de populations déjà exsangues. Les États-Unis leur ont promis 3,5 millions de vaccins, pour compenser ceux que l’Inde était censée livrer à Kaboul mais que le pays gardera finalement sur son territoire, étant lui-même submergé par les nouvelles contaminations.

Logiquement, face aux risques multidimensionnels, l’action internationale sur place se réduit drastiquement : certaines ambassades appellent leurs ONG à se démobiliser du pays. Les Talibans, bien qu’ils aient affirmé qu’ils protègeraient la population étrangère humanitaire et non-militaire, voient dans la présence étrangère en Afghanistan une forme de néo-colonialisme.

Quelles perspectives d’avenir ?

Ce climat inquiétant empêche le président Ashraf Ghani, élu en 2014, de construire une coalition qui permettrait d’ouvrir une négociation avec les Talibans. Mais c’est bien avec les Talibans que les Américains ont conclu un accord historique à Doha en février 2020, censé ouvrir la voie à une négociation de paix inter afghane garantissant l’arrêt permanent des combats. Les Talibans apparaissent ainsi comme la seule force nationale organisée en Afghanistan, au grand dam du gouvernement actuel et des acteurs internationaux.

Par conséquent, le danger est qu’ils gagnent encore plus en légitimité et engagent des négociations avec certains États tels que la Russie et la Chine, qui se retrouvent dans le camp des vainqueurs du départ des troupes américaines d’Afghanistan. Pékin n’a jamais apprécié la présence occidentale dans un pays frontalier du sien. Quant aux Iraniens, en majorité chiites, ils sont à a fois heureux de voir partir les Américains, mais prudents vis-à-vis des Talibans qui rappelons-le, sont sunnites et mènent une guerre acharnée contre les populations chiites de la région.

En outre, une controverse est née de l’instabilité latente en Afghanistan, et celle-ci porte essentiellement sur le sort des quelque 18.000 Afghans (interprètes, chauffeurs, indicateurs, etc.) qui ont activement aidé les États-Unis et auxquels les autorités ont promis l’asile, sans toutefois l’organiser de façon efficace.

La situation n’a donc plus rien de comparable avec celle de 1996, lorsque les Talibans ont été accueillis à bras ouvert lors de leur arrivée au pouvoir – qu’ils ont occupé jusqu’en décembre 2001. La triple pression, à la fois militaire, politique et psychologique qu’ils font peser sur la population prive le pays de visibilité et instaure une chape de plomb sur un pays déjà proche de l’implosion.

Lilian EUDIER

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