Les villes moyennes, des espaces urbains d’avenir

 

 

  • Un concept flexible recoupant des situations hétérogènes.

La définition de la notion de « villes moyennes » est variable, néanmoins l’INSEE l’a défini comme « un pôle de moyenne ou grande aire urbaine, comprenant donc plus de 5 000 emplois, dont la population est inférieure à 150 000 habitants et qui n’est pas la préfecture d’une ancienne région ». 311 villes de France métropolitaine correspondant à cette définition.  
D’autres déclinaisons de ce concept existent : par exemple, l’Association des Villes de France revendique la représentation des villes moyennes en regroupant les élus issus des communes de 15 000 à 100 000 habitants. Toutefois, le point commun de ces différentes définitions se situe dans la volonté d’établir une strate entre les métropoles et les territoires ruraux.

Dans un rapport intitulé, « La revanche des villes moyennes, vraiment ? » (Janvier 2022), France Stratégie analyse les dynamiques qui structurent les villes moyennes.  Sur, les 202 communes étudiées, le think-tank gouvernemental constate que les trajectoires globales des villes moyennes demeuraient en demi-teintes avant la crise sanitaire. En matière d’évolution de l’emploi, les emplois salariés du privé augmentaient de 0,2% par an entre 2009 et 2014, puis de 1,4% par an entre 2014 et 2019. Cette dynamique positive touchait 63 % des villes moyennes étudiées par France Stratégie. Concernant, l’immobilier, sur la période 2010-2019 on observe une baisse globale du prix médian d’un bien familial, proche de la moyenne nationale (-1,3%). Enfin, en termes de démographie, la part de la population demeure stable avec 35% de français qui résident dans les villes moyennes, aires d’attractions comprises. Cette stagnation, cache des dynamiques, car 45 % des villes moyennes étudiées ont vu une hausse de la population en couronne, mais une baisse concernant les pôles urbains et seulement 1% des villes moyennes ont connu une situation inverse.

Sur la base de ces trois critères, les auteurs estiment que les villes moyennes ont été moins dynamiques, sur la période, que les métropoles.

Les villes moyennes connaissent des trajectoires hétérogènes sur plusieurs thématiques : l’emploi, le logement, la démographie et la pauvreté. Si une majorité relative (42 %) de communes étudiées par France Stratégie connaissent des dynamiques positives en termes d’emploi, de logement et de démographie, elles recoupent tout de même des situations différentes. Par exemple, certaines villes du littoral atlantique (Biarritz ou Rochefort) ou de zones frontalières (Chambéry, Thonon-les-Bains) bénéficient d’une croissance démographique, d’un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale et de prix de l’immobilier relativement contenus. A l’inverse, d’autres villes dynamiques situées sur le pourtour méditerranéen (Perpignan, Sète) ou de l’Outre-mer (Le Port) font face à un taux de chômage et de pauvreté supérieurs à la moyenne nationale. Concernant les communes jugées « similaires » par France Stratégie, c’est-à-dire qui connaissent des trajectoires proches de la moyenne nationale, le critère géographique demeure tout aussi important, car on observe des différences importantes entre des territoires situés à l’Ouest comme Quimper et des villes de l’Est ou du Centre telles que Belfort ou Moulins. La question de l’insertion de la ville moyenne dans son environnement est également importante, car la capacité de rayonnement varie en fonction du nombre d’unités urbaines ou d’espaces ruraux se situant aux alentours.

Cette hétérogénéité, se traduit par des enjeux spécifiques à certaines villes moyennes. Par exemple, les villes du littoral atlantique font face à un marché immobilier tendu du fait d’une proportion importante de résidences secondaires qui a des effets sociaux (relégation d’actifs précaires en périphérique ce qui entretient un sentiment de relégation) et environnementaux (consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers supérieure à la moyenne nationale).

Néanmoins, des problématiques communes demeurent concernant la transition écologique (rénovation thermique des bâtiments, sobriété énergétique, taux d’artificialisation des sols, développement des mobilités décarbonées), le rapport au travail (accès à la propriété, réindustrialisation, effets potentiels du développement du télétravail) et le vieillissement démographique (attractivité vis-à-vis des jeunes actifs, offre universitaire et de formation) avec un pourcentage de retraités résidants dans les villes moyennes supérieur à la moyenne nationale (29 % contre 27 %).

En grande majorité, les villes moyennes conservent un rôle de « pivot des systèmes territoriaux », 75 % des villes étudiées par France Stratégie sont des préfectures ou des sous-préfectures. Cette situation fait des villes moyennes des centres structurants (44 %) ou majeurs (50 %), en matière d’équipements (structures de santé, d’éducation, de sécurité, infrastructures de transports) et de services (commerces divers et variés).

  • Un « effet Covid » difficilement mesurable mais potentiellement significatif.

Selon l’étude menée par France Stratégie, la crise sanitaire n’a pas eu d’effets nets sur les trajectoires d’avant crise. On constate une croissance de l’emploi de 2,3% entre le troisième trimestre de 2019 et le troisième trimestre de 2021. De surcroît, les 10 villes moyennes qui créaient le plus d’emplois avant la pandémie de Covid-19 maintiennent une dynamique comparable, malgré une intensité variable. A l’inverse, parmi les 10 communes moyennes les plus destructrices d’emplois avant la crise sanitaire, seulement deux (Saint-Dizier et Flers) ont renoué avec des créations d’emplois.

Concernant le marché de l’immobilier, la dynamique des villes moyennes demeure positive dans des proportions proches du niveau national. Toutefois, on constate une concentration dans les pôles des villes moyennes au détriment des couronnes qui stagnent.

La possibilité « d’un exode urbain » vers les villes moyennes, qui avait été évoqué par le rapport Barrot sur le rebond économique territorial », sur la base des volumes de transactions immobilières au niveau départemental, n’est ni confirmé ni infirmé par France Stratégie. Les auteurs de l’étude considèrent que la variation des prix de l’immobilier est un indicateur d’attractivité, mais pas de mouvements résidentiels. Ils suggèrent que les statistiques des prochaines années seraient plus révélatrices sur la possibilité d’une potentielle migration des habitants des métropoles vers les villes moyennes, sous le coup des conséquences de la crise sanitaire.

Si à court terme la crise sanitaire ne semble pas avoir modifié les trajectoires des villes moyennes, les potentiels effets pourraient se faire ressentir à long terme.  La pandémie a renforcé l’image des villes moyennes, auprès des français, qui sont perçues comme à taille humaine et plus respectueuses de l’environnement. La banalisation du télétravail pendant la crise sanitaire a aussi transformé le rapport entre le domicile et le lieu de travail. Lors des auditions menées par France Stratégie, plusieurs jeunes actifs et des salariés proches de la retraite déclaraient souhaiter quitter les métropoles.

Déjà, le baromètre des territoires de 2020 estimait que 36 % des jeunes de moins de 35 ans habitants, dans les métropoles, souhaitaient rejoindre les villes moyennes. Cependant, les fonctions « télétravaillables » sont majoritairement celles de cadres, à 61 %. Un tel projet suppose également de pouvoir accéder à la propriété et de bénéficier d’un profil d’actif mobile et connecté. Lors du quatrième trimestre de 2021, 19 % des salariés des métropoles télétravaillaient au minimum 2 jours par semaine. Finalement, France Stratégie estime que les données sont insuffisantes pour accréditer la thèse d’un afflux d’actifs des métropoles vers les villes moyennes. Les auteurs estiment, cependant, que les implications seraient nombreuses : possibilité de tensions accrues sur le marché de l’immobilier, rapport différent à la mobilité, dynamisation économique des villes moyennes de par le profil des potentiels arrivants. Les auteurs rappellent aussi que plusieurs déterminants influent sur les trajectoires résidentielles et professionnelles : socioéconomique (prix et disponibilité de l’immobilier, niveau de revenu et d’épargne, attractivité des entreprises), immatériels (projets ou attaches familiales, attachement à un territoire), géographiques (localisation, accessibilité, climat), le niveau de services (santé, éducation, numérique, commerce).

  • La nécessité de repenser les politiques publiques territoriales afin de valoriser les villes moyennes.

Dans son rapport de janvier 2022 « Les villes moyennes, un pilier durable de l’aménagement du territoire ? », France Stratégie émet plusieurs recommandations pour dynamiser et développer les villes moyennes :

  • Construire les politiques publiques territoriales sur la base d’un dialogue avec l’ensemble des acteurs locaux concernés, afin de cibler au mieux les territoires les plus vulnérables.
  • Garantir l’accès minimal à un socle d’équipements et de service, pour maintenir le rôle d’équilibre des villes moyennes, en lançant un plan d’investissement piloté par l’Etat et les collectivités territoriales en échange d’une gestion locale plus efficace.
  • Renforcer l’analyse territoriale afin de mieux évaluer les dispositifs actuels multiples (Action cœur de ville, Territoires d’industrie) en démocratisant l’accès à la data au maximum d’acteurs possible et en incitant à la recherche.
  • Mobiliser les dispositifs existants, plutôt que d’en créer de nouveaux, tout en renforçant les articulations sectorielles et la coopération interterritoriale via des mécanismes incitatifs.

Les villes moyennes sont un ensemble hétérogène aux trajectoires diverses, même si majoritairement positives depuis une période bien antérieure à la pandémie, qui ne semble pas avoir provoqué de changements majeurs, pour le moment. Néanmoins, les villes moyennes partagent des défis communs en matière d’écologie, de logement et de démographie. Elles bénéficient également d’une image positive auprès des citoyens et les pouvoirs publics ont depuis une décennie structurée des politiques territoriales propres aux villes moyennes. Dans un contexte d’archipélisation de la société et de fractures fortes entre les métropoles et les zones périphériques et rurales sur le plan politique, économique et démographique, les villes moyennes peuvent incarner un rôle de pivot territorial à même de réconcilier les territoires et d’être une locomotive pour leur couronne.

Maël KEBABSA
Chargé de Mission – CEPS

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