Les relations entre les Etats-Unis et la Corée du Nord : Vers des allers-retours incessants entre Hard Power et Soft Power ?

 

 

1/ Un face à face dangereux entre Corée du Nord et Corée du Sud qui plonge ses racines dans les origines de la guerre de Corée et la scission de l’ancienne péninsule.

Les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis sont encore et toujours marquées par les séquelles de la guerre de Corée (1950-1953) qui a eu, entre autres, pour conséquence, le partage de la péninsule coréenne en deux pays : Corée du Nord de tradition communiste et Corée du sud démocratique. Après avoir été annexée par l’Empire japonais en 1910, la péninsule a été divisée eu deux (nord occupé par l’Union soviétique et sud par les Etats-Unis) à l’issue de la capitulation japonaise de 1945. Après un échec des négociations de réunification en 1948 et une invasion du nord en 1950, une guerre éclate et se conclue par un simple accord d’armistice mais aucun traité de paix n’é été signé.

La frontière entre les deux pays est l’une des plus fortement militarisées du monde avec près de 30 000 soldats américains stationnés dans le pays (plus de 40 000 en 2003), répartis sur deux bases (forces terrestres et aériennes) et puissamment armés compte tenu de la menace stratégique que constitue le voisin du nord aux frontières quasi hermétiques et aux velléités militaires affirmées et assumées. La Corée du sud doit cependant, dans le cadre d’un accord (Traité de défense mutuelle), contribuer financièrement depuis 1990 (actuellement près de 1 milliard de $), au coût global de la présence militaire américaine, véritable parapluie sans lequel la sécurité du pays serait à la merci du pouvoir de Pyongyang. Il fallait en effet au préalable que la Corée du Sud reconstruise son économie dévastée par la guerre.

Alors que la présence militaire américaine est globalement bien perçue (plus de 62 % des citoyens sud-coréens favorables en 2019 et 73 % en 2020) comme véritable force dissuasive et assurance-vie, elle reste en revanche très mal perçue par la Corée du Nord qui y voit une ingérence dans les affaires entre les deux Corées et une menace directe. En outre, la présence militaire américaine a un impact sur l’économie sud-coréenne : emploi de 4000 coréens et importantes dépenses injectées dans l’économie locale. Cependant, les négociations sur la contribution sud-coréenne avaient failli capoter en raison des exigences du président Donald Trump à hauteur de 5 milliards de $ par an.

De son côté, la Corée du nord, officiellement république démocratique de Corée, compte environ 25 millions d’habitants (deux fois moins que son voisin du sud), est une dictature totalitaire et héréditaire également limitrophe de la Chine et de la Russie. L’idéologie officielle du pays est le juche, qui fait de l’autosuffisance alimentaire la doctrine de base. Fondé par Kim Il-sung puis transmis à son fils Kim Jong-il (mort en 2011), le pays est désormais dirigé d’une main de fer par le fils cadet Kim Jong-un. Il s’agit bien d’un régime communiste de type stalinien, la seule dynastie communiste de l’histoire dont les rouages sont ceux d’un régime totalitaire.

Après la dislocation de l’URSS, la Corée du Nord a connu une terrible famine (près de deux millions de morts), que le pouvoir a refusé de reconnaître et qui a poussé Kim-Jong-il à donner la priorité à l’armée (politique du Songun) à travers un programme spatial et la fabrication d’armes nucléaires désormais plus perfectionnées sous la houlette de Kim Jong-un.

 

2/ Un dialogue laborieux entre les deux Corées qui a pu contenir le spectre d’une nouvelle guerre

Chacune des deux Corées prétend représenter l’ensemble de la Corée et désigne l’autre comme une simple province. Alors que les deux pays parlent la même langue, la méfiance est de mise puisque Séoul et Pyongyang interdisent à leurs citoyens respectifs de nouer des relations sans accord préalable.

Après plusieurs tentatives de dialogue allant jusqu’à la proposition de créer une confédération, une rencontre des deux dirigeants eut lieu en 1972 puis une politique de   rapprochement fut lancée après les JO de Séoul en 1988 (appelée Nordpolitik) avant que les deux pays ne soient admis aux Nations Unies en 1991 et signent un pacte de non-agression et de coopération.

Entre 2000 à 2008, c’est une politique dite du « rayon de soleil » avec une visite au nord du président sud-coréen et la signature d’une déclaration commune en juin 2000 pour structurer les relations entre les deux Corées. Les deux pays défileront même ensemble aux JO de 2000 et 2004 avec la même tenue et le même drapeau sans parvenir cependant à constituer une délégation commune en vue des JO de Pékin de 2008. En 2007, les deux dirigeants signent un document commun qui les engage à promouvoir dans la péninsule la paix et la prospérité économique.

Mais de 2008 à 2017, le pouvoir conservateur sud-coréen refuse, avec le soutien des Etats-Unis, de continuer à négocier avec le nord. Les tensions remontent à nouveau émaillées d’incidents entre les deux pays jusqu’au naufrage d’une corvette de la Corée du sud en 2010. C’est la fin du « rayon de soleil », la Corée du sud considérant que les tentatives passées de dialogue étaient des « concessions inconditionnelles » et exigeant que la Corée du nord se dénucléarise et promeuve les droits de l’homme, ce qui a eu pour effet inverse de radicaliser le nord qui n’a eu de cesse de perfectionner ses armes nucléaires. Une autre tentative du sud de promouvoir une « confiance mutuelle » a échoué et calmé même l’enthousiasme des hommes d’affaires du sud.

Depuis 2017, le dialogue repart. Les deux dirigeants se rencontrent à nouveau en 2018 après une rencontre de parlementaires des deux pays à Genève. Après de nouveaux tirs balistiques, Séoul et Pyongyang redéfilent ensemble aux JO d’hiver de 2018 après deux sommets inter-Coréens en avril et mai de la même année, celle-ci précédant le fameux sommet Trump-Kim du 12 juin 2018.

 

3/ Dialogue nourri de méfiance réciproque entre la Corée du Nord et les USA : quel équilibre entre soft power et hard power ?

Puis en 2000, plusieurs visites de responsables américains (dont Madeleine Albright) se succèdent à Pyongyang pour consolider l’accord de 1994 et de préparer une visite de Bill Clinton qui n’aura pas lieu. Cela n’a pas empêché la Corée du nord de se retirer du Traite de non-prolifération (TNP) en 2003 avant d’accepter de fermer ses installations nucléaires en 2007 en échange d’une aide en carburant. En 2009, les pourparlers Usa, les deux Corées, Japon, Chine et Russie sont suspendus suite à la décision de Pyongyang de lancer un missile. En réaction à une condamnation du Conseil de Sécurité des Nations Unies, Pyongyang décide d’expulser les inspecteurs de l’AIEA et de relancer ses Essais nucléaires. Après avoir bercé l’occident d’illusions, soufflé le chaud et le froid de 2009 (emprisonnement de deux journalistes américains) à 2013 (menace d’une attaque contre la Corée du sud), la Corée du nord reprend de plus belle ses essais nucléaires et lancements de missiles jusqu’à fin 2017.

C’est alors que tout en envoyant en avril 2017 des bateaux de guerre dans la zone, Donald Trump se disait prêt à rencontrer Kim Jong-un, ce qui n’a pas empêché une montée de la tension après qu’en juin 2017, un jeune étudiant américain est décédé après 18 mois de détention en Corée du nord.

Les provocations nord-coréennes n’ont pas cessé puisque le 5 juillet 2017, jour de la fête nationale américaine, Pyongyang lance un nouveau missile balistique, suscitant l’ire de Donald Trump.

Finalement, les deux présidents finissent par convenir d’une rencontre le 12 juin 2018 à Singapour à l’issue de laquelle ils ont signé un communiqué conjoint actant la dénucléarisation de la péninsule et l’établissement de relations diplomatiques.

Fin février 2019, et alors que l’ambassade de Corée du nord à Madrid venait d’être attaquée, les deux dirigeants ont tenu un second sommet à Hanoï au Vietnam avant de se faire face une troisième fois le 30 juin 2019 dans la zone dite démilitarisée entre les deux Corées. C’est là, qu’invité par Kim Jong-un, Trump accepte de franchir symboliquement la ligne de démarcation et d’être le premier président américain en exercice à fouler le sol nord-coréen.

De tout temps, le dirigeant nord-coréen (comme ses ascendants) n’a eu de cesse, malgré cette embellie diplomatique avec Trump, de pourfendre à chaque occasion les Usa, en en dénonçant leur politique hostile y compris depuis l’arrivée de Jo Biden (notamment lors de la visite à Séoul du nouveau secrétaire d’Etat Antony Blinken à Séoul) qui n’a pas encore réussi à établir le contact avec Kim Jong-un malgré l’activation de plusieurs canaux diplomatiques.

La méfiance maladive est toujours de mise, Pyongyang dénonçant les propos d’Antony Blinken à Séoul et le « nouveau régime à Washington » qui persiste à promouvoir sa « théorie démente de la menace de la RDPC et sa rhétorique sans fondement sur une dénucléarisation complète » et d’ajouter que le rapprochement espéré pendant le mandat de Trump n’était plus d’actualité. Ce serait donc un retour à la case départ…Et une voix officielle nord-coréenne d’ajouter : « Si vous voulez dormir tranquilles pendant les ans à venir, vous feriez bien de ne rien entreprendre qui vous fasse perdre le sommeil ».

Après tous les échanges d’insultes et de menaces de guerre nucléaire ponctués par la lune de miel diplomatique des sommets de Singapour et de Hanoï, force est de constater que la Corée du nord et les Usa sont encore très loin d’une véritable normalisation de leurs relations et qu’il faut s’attendre au moins jusqu’à la fin du mandat de Jo Biden à une évolution en dents de scie et à la volonté de Kim Jong-un de créer une situation stratégique irréversible de nature à discréditer toute tentative de coercition de la part des Etats-Unis. Kim Jong-un croît pouvoir être convaincu de l’impossibilité pour les américains de lancer une attaque massive contre la Corée du nord qui entraînerait de facto des représailles massives contre la Corée du sud et les bases américaines, au risque d’en faire un nouveau Vietnam.

Il semble qu’entre une politique de soft-power qui a ses limites face à un pays arc-bouté sur ses fondements idéologiques et une politique de hard-power qui serait périlleuse et incontrôlable, une voie médiane devrait pouvoir être envisagée : celle du « billard à trois bandes » consistant à passer par la Chine et/ou la Russie pour faire entendre raison à Pyongyang, ce qui suppose, et la tâche ne sera pas facile, que les Usa parviennent à construire un nouveau deal avec les chinois et les russes.

Cela suppose également que les dirigeants des deux Corées qui partagent la même langue à défaut de culture commune, décident dans un sursaut des consciences, de renouer le dialogue pour apaiser les tensions. Ceci devrait passer sans doute par une réduction du poids et de la visibilité de la présence militaire américaine sur le sol sud-coréen avec la garantie d’une remobilisation rapide en cas de nécessité mais aussi et surtout par l’accès des populations nord-coréennes à un meilleur bien-être et à la « sanctuarisation » du régime nord-coréen en attendant une hypothétique réunification dans le long terme, lorsque le niveau de vie, d’éducation et d’ouverture aura fait son œuvre.

 

En attendant, Kim Jong-un mène une bataille contre les fans de K-Pop, style musical européen avec des paroles coréennes, qu’il considère comme une « cancer vicieux » qui propage un sentiment « antisocialiste »et qui risque de corrompre le peuple nord-coréen. La même répression est engagée contre les jeans skinny et les coupes mulet, symboles de décadence occidentale. C’est dire combien la mondialisation de la culture peut être acceptée ou rejetée selon les profils idéologiques des pays.

Il faudra encore beaucoup de temps, d’efforts diplomatiques innovants, de courage politique et d’audaces stratégiques pour espérer créer les conditions d’un dialogue durablement serein et confiant entre les Usa et la Corée du nord d’aujourd’hui comme de demain comme avec la Corée du Sud.

 

William BENICHOU

Conseiller diplomatique – CEPS

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