La question des retours d’œuvres dans leurs pays d’origine mérite mieux qu’un grand soir idéologique de la restitution

 

Dans le contexte des débats sur la loi sur la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin, adoptée par le Parlement le 17 décembre 2020, les inquiétudes des musées, des spécialistes de l’art ou des représentants du marché de l’art doivent appeler les pouvoirs publics à la mesure.

 Les cas justifiés de retour d’œuvres dans leur pays d’origine ne doivent pas transformer le cours normal des débats en un mouvement de « compensation idéologique » qui se ferait aux dépens de la protection de ces œuvres, mais aussi de la dynamique de coopération culturelle si nécessaire entre pays.

Les failles d’un rapport aux visées idéologiques

Tout d’abord, il est toujours incertain de juger l’histoire sur la base des principes moraux d’aujourd’hui, tout en prétendant que cette morale elle-même serait immuable et aurait toujours existé. Chacun sait que les principes de nos sociétés évoluent. Cela se double de la création d’un antagonisme stérile visant à opposer une vision universaliste de la culture à une position identitaire de l’art au service des causes nationales. Dans ce dernier cas, une œuvre ne serait « à sa place » que dans son pays d’origine.

A défaut d’organiser une vraie réflexion sur la question des restitutions d’œuvres, le rapport  de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr remis au Président de la République à la fin de l’année 2018, a eu le mérite de mettre en lumière, pour les collections françaises, les grands enjeux sur la circulation des œuvres.

L’inversion de la charge de la preuve proposée dans le rapport Sarr-Savoy instaurerait aussi une généralisation simplificatrice sur des sujets qui méritent au moins l’effort d’une différenciation. On ne peut pas tout mettre dans le même panier. La généralisation occulte les différences à faire entre la question des restes humains (dont la nature participe pleinement de rites funéraires vivants pour certaines communautés et qui doivent être respectés en tant que tels), celle des objets religieux significatifs pour des communautés toujours actives, celle des restes archéologiques de monuments démembrés (par exemple, les fameux marbres du Parthénon), ou encore celle des objets d’art. Tous ces « objets » ont tous, comme le rappelaient les juristes australiens Lyndel Prott et Patrick O’Keefe, proches de l’UNESCO, une nature différente et exigent d’être considérés à l’aune d’une typologie ordonnée pour étudier toute demande de restitution.

Les conséquences juridiques de la question des restitutions

Sans bien sûr préjuger de la justification d’un retour, si l’on regarde juste la nature même des objets, la restitution des têtes Maories à la Nouvelle-Zélande n’a ainsi rien à voir avec le retour au Sénégal du sabre “d’El Hadj Omar Tall”, donné par le Général Louis Archinard au XIXe siècle. Et le changement du droit national ou international pour établir des automatismes n’est pas l’alpha et l’oméga pour résoudre cette question. La médiation ou les bons offices peuvent bien souvent être plus efficaces car ils se fondent sur l’écoute des parties en conflits et l’histoire unique de l’œuvre.

En 2010 j’ai aidé en ce sens la République de Tanzanie et le musée Barbier Muller (Suisse) pour la récupération par la Tanzanie d’un masque Makondé. Dans ce cas particulier, cela a pu se faire sans que les termes de « restitution » ou « retour » ne soient adoptés, car ils impliquaient une faute dans laquelle aucune des parties en présence ne se reconnaissait pour résoudre leur litige. Il faut donc offrir une panoplie complète de moyens de résolution des conflits adaptables à toutes les situations. Le choix du terme de « prêt à long terme » plutôt que de restitution des archives royales coréennes à Séoul qui étaient dans les collections de la Bibliothèque nationale de France en est un autre exemple.

De plus, un transfert complet et automatique d’œuvres vers les pays dits « sources » ne constitue pas une « fin de l’histoire » ni une victoire pour les institutions qui les recueillent. Les musées partout dans le monde ont avant tout besoin de coopération, de voir les œuvres circuler pour être montrées. La polarisation et les prises de parti idéologiques risquent de mettre à mal la mécanique de dialogue international entre les institutions culturelles si nécessaire à la mise à disposition des œuvres auprès du public, où qu’il soit.

Notre actualité montre donc à nouveau que le principe d’inaliénabilité des collections nationales garde tout son sens face à la tentation d’une appropriation du patrimoine par des autorités publiques vectrices d’un discours idéologique ou soucieuses de régler d’autres problèmes, notamment diplomatiques, que le destin même des œuvres. Pour faire circuler les œuvres, l’ingénierie culturelle française peut être utilement mise à contribution, mais cette ambition ne saurait s’incarner dans un vaste déménagement d’œuvres ni fouler au pied leur idiosyncrasie et leur histoire.

Julien Anfruns,

vice-président des amis du musée Marmottan-Monet et ancien président du Bouclier Bleu international (ICBS), les casques bleus du patrimoine.

 

Fermer le menu
Share via
Copy link
Powered by Social Snap