La Biélorussie, enjeu démocratique pour l’Europe et pomme de discorde avec la Russie

 

 

 

Quelques points de repères

  • Ancienne république soviétique et dernière dictature d’Europe, la Biélorussie ou Belarus tire son nom des mots « bielo » (blanc en russe) et de « rossia » (Russie). Son drapeau aux couleurs rouge, vert et blanc du temps de Staline est à présent blanc et rouge, couleurs rappelant des batailles du XVème siècle. Après avoir été rattachée à l’Empire russe à la fin du XVIIIème siècle en se voyant imposer la langue et l’administration russes, la Biélorussie a été le théâtre de la célèbre bataille de la Bérézina, sous Napoléon, en novembre 1812. Plus d’un siècle plus tard, elle fut occupée par l’Empire allemand en 1918-19 et subi l’invasion de l’Allemagne nazie avant de connaître un tournant majeur lorsque le gouvernement soviétique en fixa les limites territoriales et en fit la république socialiste soviétique de Biélorussie. Après avoir été un satellite de l’Union Soviétique de 1918 à 1991 (hormis la période nazie), le pays devint indépendant en 1991 avec l’éclatement du bloc soviétique et la chute du mur de Berlin en 1989. Le pays est une république constitutionnelle à régime présidentiel, dotée d’une chambre haute et d’une chambre basse.
  • De superficie modeste (207 000 km²), le Belarus est un pays totalement enclavé dont les 3000 km de frontières terrestres sont partagés avec la Russie (950 km), l’Ukraine, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie. Ce petit pays est donc non seulement dans l’orbite et sous l’influence de Moscou mais apparaît également comme un « sas de protection » par rapport à l’Ouest et aux pays de l’OTAN.

D’ailleurs, dix divisions russes sont constamment en alerte à proximité de la frontière, ce qui pourrait conduire à justifier une intervention militaire si le président Loukachenko, fortement contesté, le demandait.

  • Recelant très peu de ressources naturelles dans son sous-sol : sel gemme, fer, phosphate et potasse pour l’exportation, le pays, économie de marché et état-providence, est économiquement très dépendant de la Russie en énergie et matières premières. Avec 70 % du PIB provenant du secteur public, le système économique encore très proche de l’ex-URSS, est faiblement ouvert sur l’extérieur.
  • Le Belarus compte 9,5 millions d’habitants dont 83 % de Bélarussiens, deux langues officielles (biélorusse et russe) et un mélange des deux, le trasianka. L’ethnie, la langue et la religion en constituent les trois composantes de l’identité nationale, considérés comme ciments de la cohésion nationale, ce qui n’a pas empêché la jeunesse de clamer sa dignité depuis l’accession au pouvoir d’Alexandre Loukachenko.

 

Une évolution politique tourmentée dans un pays en « crise gelée »

  • Le 10 juillet 1994, Alexandre Loukachenko, issu de l’appareil du parti communiste, député depuis 1990 et pratiquement inconnu par la population, a été élu au terme de vives contestations.

En à peine deux années, il est parvenu, à travers une démarche une populiste, à édifier une dictature avec un régime répressif et à refonder ses relations avec Moscou. Il a ainsi privé dès la fin de 1996 le Parlement d’une grande part de ses prérogatives, muselé l’opposition et la presse, changé le drapeau national et déclaré sa volonté de fusion avec la Russie.

  • Au pouvoir depuis 26 ans, Alexandre Loukachenko était à nouveau candidat à un 6ème mandat en 2020, ce qui a entraîné de mai à août 2020 et à l’issue d’une victoire entachée de fraudes avec un score de plus de 80 % face à Svetlana Tikhanovskaïa (contrainte de s’exiler), une immense vague de manifestations, surnommées la révolution des pantoufles et la révolution anti-cafard, étant entendu que le soutien des forces de l’ordre, condition sine qua non d’un changement de régime, est loin d’être acquise et que les « grèves du zèle » des ouvriers sont la stratégie du moment.
  • La mécanique institutionnelle s’est donc sérieusement enrayée depuis août 2020, s’ajoutant comme une couche supplémentaire dans le « millefeuille de mécontentement » après les victoires électorales considérées comme volées en 2001, 2006, 2011 et 2016. Les manifestations d’août 2020 (mobilisant toutes les couches sociales et villes) ont été violemment réprimées allant jusqu’à des tortures et humiliations de manifestants durant leur arrestation. Le pouvoir semble ne reculer devant rien pour garantir la stabilité du régime.
  • Alors que l’Union Européenne a refusé de reconnaître une telle victoire, on assiste à une rupture progressive du pacte social que le président Loukachenko s’est efforcé de construire autour de sa personne et d’une série de conquêtes sociales dont il s’attribue le mérite : notamment l’achat à prix subventionnés d’énergie fournie par la Russie, l’accès aux soins de santé et à l’éducation, la garantie de stabilité politique et une politique ambitieuse en matière de NTIC qui a permis la création du Belarus Hi-Tech Park.
  • Mais suite aux sanctions européennes contre la Russie après l’annexion de la Crimée, Moscou a été contraint de réduire la voilure de son aide énergétique et économique à la Biélorussie, entraînant de ce fait des difficultés sociales dans ce pays satellite et le délitement du pacte social. Alexandre Loukachenko n’a pourtant pas tari d’éloges à l’égard de la Russie, qualifiée de « grand frère » espérant par là faire partager à Vladimir Poutine la conviction que « C’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis ». Ceci n’empêche pas Poutine de traiter la Biélorussie avec condescendance tout en ayant conscience de l’enjeu stratégique de la Biélorussie comme seul couloir d’accès nord-européen depuis la détérioration des relations avec l’Ukraine.
  • Le peuple biélorusse continue de manifester, quasi exclusivement pour des changements internes, contrairement au mouvement ukrainien de Maïdan qui avait secoué l’Ukraine en 2014 et c’est d’ailleurs un vieux tube du groupe Kino Peremen ! du chanteur Viktor Tsoi, datant de 1987 qui est sur les lèvres des jeunes à Minsk et qui cultive, entre autres, le souvenir de la perestroïka et de la glasnot qui ont conduit à la fin de l’URSS.

 

Un pays pris entre le marteau russe et l’enclume européenne

  • La Biélorussie, chasse gardée de la Russie, n’a pas constitué pour l’Union Européenne un enjeu géopolitique ou géostratégique important depuis au moins la fin de l’union soviétique. Cependant, force est de constater que la volonté européenne d’extension de son périmètre géographique et de son influence politique et économique jusqu’à la frontière de la Russie – dont l’Ukraine fut un théâtre mouvementé – ont fini par faire de ce petit pays enclavé un motif de friction idéologique.
  • Au rythme des réélections successives, brutales et contestées d’Alexandre Loukachenko, l’UE, alors traumatisée par le coup de force de l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie, a fini par refuser de reconnaître les résultats des dernières élections en exigeant une évolution démocratique du régime biélorusse avec à la clé la promesse d’un plan d’aide économique et des sanctions contre certains responsables politiques.
  • Il faut garder à l’esprit que la Russie dispose d’une exclave territoriale de 220 km² à Kaliningrad entre la Pologne et la Lituanie dont elle a fait une base contre l’OTAN avec un dispositif nucléaire et des missiles antibalistiques déployés également à Minsk qui permet à la Russie de se déployer facilement en cas de conflit avec l’OTAN et les Etas baltes ex-républiques soviétiques. L’OTAN est conscient que ce couloir stratégique russe constitue une menace réelle contre ses forces et également comme tremplin pour envahir les trois petits états baltes et de là la Pologne.
  • Cela étant, la prudence est de mise du côté américain comme des autres membres de l’OTAN car conformément au « deal » de la guerre froide, la Russie a clairement fait comprendre que la Biélorussie était dans sa zone d’influence directe et qu’il convenait pour l’OTAN de ne pas s’y aventurer. Il s’agit là de l’application des deux principes, vigilance et fermeté, hérités d’une vieille doctrine Truman-Kennan de 1947. Et Loukachenko est conscient que sa très forte dépendance…est le prix à payer pour le bouclier russe.
  • Il est probable que toute évolution démocratique du régime en Biélorussie dépendra autant sinon davantage d’une évolution positive du dialogue entre l’Europe et la Russie (avec l’implication des USA) que de la seule capacité de mobilisation des masses populaires en Biélorussie d’autant plus que ce petit pays très dépendant de la Russie ne maîtrise guère son destin.
  • Tout exercice de prospective politique est donc aléatoire et seule l’évolution des enjeux et du dialogue avec la Russie permettront d’ouvrir progressivement la Biélorussie à une démocratie assumée et apaisée. La Russie, politiquement moins scrupuleuse, dispose de beaucoup plus de leviers que l’UE.
  • Le récent détournement, en date du 23 mai, par les forces aériennes biélorusses, d’un avion de la compagnie Ryanair qui reliait Athènes à Vilnius, capitale de la Lituanie, contraint d’atterrir à Minsk sur un faux motif d’alerte à la bombe, aux fins d’arrêter un journaliste opposant au président Loukachenko, a été fermement condamné par l’UE et les USA comme un acte de piraterie d’Etat et de violation des règles internationales du transport aérien. Ce grave incident est à mettre au compte des audaces antidémocratiques du dictateur Biélorusse et Vladimir Poutine n’a pas condamné cet acte, sans doute pour mieux manipuler Loukachenko.
  • William BENICHOU
    Conseiller diplomatique – CEPS

 

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