Il est urgent d’envisager autre chose !

 

S’il est indéniable que la digitalisation et la robotisation de l’activité économique devraient continuer à permettre de diminuer les tâches répétitives et pénibles, et contribuer à accroître le niveau de qualité et de productivité, néanmoins ceci devrait réduire significativement les postes de travail gérés par l’homme. Certes de nouveaux métiers, de nouveaux services vont et devraient émerger mais ils ne compenseront qu’en faible partie ces « postes réattribués ».

Un univers économique en mutation

En se reconfigurant, les entreprises souhaitent relever les défis de la productivité, de la baisse des coûts et des charges… On peut néanmoins craindre qu’à terme l’emploi humain soit perçu de plus en plus dans un certain nombre de secteurs d’activités comme un poste de coûts ! Que ce soit dans le secteur de l’alimentation, de la confection…, le remplacement des cols bleus comme des cols blancs par des robots et l’IA semble inévitable. Un rapport de la banque mondiale estimait il y a encore quelques mois qu’environ 70% des emplois pourraient être menacés dans les pays émergents, voire 70% dans les pays de l’OCDE dans le seul secteur de l’industrie textile.

Dans l’intervalle d’un nouvel environnement technologique, social et économique quelles activités de substitution pourront-nous offrir à ces chômeurs « structurels » ? L’importance et la rapidité du phénomène va bouleverser en profondeur un certain nombre de systèmes politiques et sociaux déjà en situation précaire.

Comment et de quelle manière répondre aux attentes d’emploi… de survie… de ces personnes faiblement formées ? Quelles formations initier, pour quels métiers mettre en œuvre ? Ces questions vont se poser avec d’autant plus d’acuité que nous entrons dans un monde extrêmement véloce, fin de confinement oblige !

Un nouveau rapport au travail

On peut raisonnablement considérer que le poids de l’activité « non déclarée », de l’informel devrait dans les années à venir significativement s’accroître avec peut-être un recours beaucoup plus systématique à la prestation occasionnelle journalière. En tout état de cause, nous allons assister à une dynamique incitant de plus en plus les demandeurs d’emploi à se déclarer en tant qu’autoentrepreneur : une forme de « salariat externalisé à durée flexible » !

Autre sombre perspective, on peut craindre une polarisation accrue des rémunérations entre les catégories socio-professionnelles élevées qui seront à termes toutes télétravaillables et les catégories socio-professionnelles moins élevées qui ne le seront pas.

La robotisation et la digitalisation impacteront aussi les tâches dites qualifiées. Elles modifieront sans doute les missions et les activités de certaines professions : comme ceux de la santé, de la finance et du marketing… Gardons en mémoire que l’une des plus grandes banques d’affaires américaines avait réduit il y a quelques années très fortement son staff de traders pour le remplacer par quelques « data scientists » !

Un monde nouveau

Ces mutations irréversibles imposent de fait une véritable réflexion non seulement sur la durée, mais aussi sur la nature du travail dans le futur. Le monde de demain augure-t-il d’un univers où le problème sera l’homme : trop peu de travail pour trop d’hommes ? Il serait en tout cas vain d’ignorer voire de refuser ces évolutions techniques et les opportunités qu’elles peuvent offrir. De toute façon, elles s’imposeront à notre quotidien ! Mais il serait aussi dangereux de ne pas analyser objectivement les conséquences économiques, sociales, tout simplement humaines qu’elles auront et d’envisager dès à présent avec clairvoyance les réponses et les opportunités qu’il convient de développer pour éviter les risques de précarisation, de réduction significative de l’offre de travail. Et ce malgré les politiques d’aides massives développées par les Etats qui ont contribué à « anesthésier » l’activité d’une grande part des acteurs économiques tout en offrant en revanche aux grands groupes des opportunités impressionnantes de rebond.

Alors que l’année dernière les banques redoutaient une vague de faillites et d’impayés à la suite des confinements dûs à la pandémie[1], six mois plus tard les mesures de soutien des Etats et des banques centrales ont pleinement joué leur rôle ! L’actualité récente nous démontre en effet, s’il le fallait, que les acteurs économiques les plus significatifs affichent des résultats « surprenants ». Qui aurait pu raisonnablement imaginer de telles performances, alors que le monde vient de subir l’une des plus graves crises économiques du siècle ? Les groupes du CAC 40 (six d’entre eux concentrent la moitié des profits) ont dégagé au cours du seul premier semestre 2021, 57 milliards d’euros de profits : en l’occurrence, une rentabilité supérieure à 2019[2] ! Depuis le début du mois de juillet et la « saison des résultats », les banques présentent des performances records. BNP Paribas a ainsi obtenu le meilleur résultat de son histoire au premier semestre 2021.

Il convient cependant de nuancer ceci, en effet si les grands fleurons de l’économie française affichent des résultats très éloquents ce n’est pas le cas pour de nombreux autres secteurs d’activité. En l’occurrence, la production industrielle reste en deçà de 5,3% de son niveau de février 2020. La construction automobile pour ne citer que ce secteur d’activité, s’est retrouvée en juin avec un niveau de production inférieur de 28,3% à son niveau de février 2020[3].

Reconstruire le contrat social

Par ailleurs, nous constatons un appauvrissement chez les particuliers et des pertes d’emploi significatives depuis un an et demi[4] et à termes à la fermeture d’un certain nombre de PME qui représente une part importante de l’activité économique en France.

Le Secours populaire a comptabilisé 45% de bénéficiaires supplémentaires en 2021. Selon le Conseil National de la Lutte contre la Pauvreté, la plupart des jeunes ont constaté avoir perdu une part importante de leurs revenus et que trouver un « job étudiant » est quasiment devenu une « mission impossible ».

S’il on peut et l’on doit se réjouir qu’une partie de l’économie en France ait repris, il convient d’être néanmoins nuancé. Un certain nombre de signaux de détérioration de l’activité économique avaient été détectés dès 2019 à travers la crise des Gilets jaunes. Les populations de classes populaires mais aussi moyennes contestaient la politique du gouvernement pour réclamer une amélioration de leur niveau de vie. Ces signaux de protestation ont été soit accélérés, soit « anesthésiés » par le confinement. Alors que l’on commence à entrevoir progressivement le « bout du tunnel », la sortie de crise sanitaire, les réalités sociétales et malaises sociaux risquent de réapparaître brutalement. Constatons un décalage de résultats extrêmement important entre une partie des acteurs économiques et le reste de la société. On peut craindre en autres un décrochage économique de la classe moyenne basse. Il conviendra d’être vigilant et d’éviter que se développe une sorte d’économie à deux vitesses et qui pourrait à terme susciter des tensions économiques et sociales dans les prochains mois et contribuer à faire ré-émerger une dynamique « anti-establishment ».

Il serait risqué de considérer que l’on puisse résorber ces écarts par davantage d’aides publiques et de prestations sociales. Il est urgent d’envisager autre chose : de reconstruire le contrat social qui a fait la force et la singularité de la France.

Loïc TRIBOT LA SPIERE, délégué général CEPS

Edouard CABOT, chargé de mission CEPS

 

 

 

[1] Cf. l’article dans le journal Les Echos du 14 décembre 2020 « Les autorités européennes appellent les banques à se préparer au pire ».

[2] Cf. l’article dans le journal Les Echos du 6-7 Aout 2021 « Le début d’année flamboyant des géants du CAC 40 ».

[3] Source INSEE – 05 Aout 2021.

[4] Une étude de l’INSEE du 29 juin dernier indique que le nombre de chômeurs s’élève à 2,4 millions de personnes soit 8,1% de la population active.  Et que le taux de chômage de longue durée touchait 2,5% de la population active au premier trimestre 2021.

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