Faut-il dissocier défense et sécurité ?

Le 25 mars 2020, le déclenchement de l’opération « Résilience » par le Président de la
République lors de la phase aiguë de l’épidémie de COVID-19 n’était pas seulement le
prolongement symbolique de son discours du 16 mars, à la tonalité grave et volontiers martiale.
Il était aussi la résultante d’un constat : celui du besoin impérieux d’apporter un soutien
opérationnel aux autorités civiles dans leur combat contre l’épidémie. Par sa décision, le
Président de la République augmentait alors le niveau d’engagement des armées sur le
territoire national, pourtant très significatif depuis les attentats de janvier 2015 et le
déclenchement de l’opération Sentinelle.

Faire durablement appel aux armées sur le territoire national, entre en contradiction avec
cette summa divisio très française qui sépare le « dehors » et le « dedans ». La force publique
du « dedans », autrement dit, la Police, garantit les libertés publiques, tandis que la force
publique du « dehors », c’est à dire les armées, est une force expéditionnaire qui protège
l’intégrité du territoire des ennemis venus de l’étranger. Consacrée par la Révolution française,
cette répartition des missions entre « l’intérieur » et « l’extérieur » a été reprise par les
constitutions successives dont s’est dotée la France au cours des deux siècles suivants.
Le recours aux armées sur le territoire national, d’ordinaire limité à la règle dite des « 4 i »
(lorsque les moyens civils sont inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles), se
systématise cependant. Depuis 1994, les Livres blancs successifs, ont proposé une
« conception globale de la défense » (1994) à laquelle succède une « stratégie de défense et
de sécurité nationale » (2008). En 2012, le quatrième livre blanc prend acte, à son tour, de
l’existence d’un continuum entre les menaces de l’intérieur et de l’extérieur.
A compter du début des années 2010, l’enkystement du terrorisme jihadiste au Levant et au
Sahel expose le territoire national à des attentats dits « projetés », tandis que la radicalisation
islamiste sur notre sol augmente les intentions de départs de citoyens français pour rejoindre
les rangs d’organisations terroristes internationales. Les attentats de 2015 ont ainsi été à
l’origine d’une accélération du rapprochement sécurité-défense, dont la conséquence la plus
tangible a consisté en une actualisation du contrat opérationnel de l’Armée de terre, cheville
ouvrière d’une posture de sauvegarde terrestre non permanente. Chemin faisant, le territoire
national est devenu le premier théâtre d’engagement des armées avec 13 000 militaires
engagés sur le territoire métropolitain et 7 150 dans les outre-mer.
Alors que le niveau des effectifs qu’elle mobilise est resté le même cinq ans après, l’opération
Sentinelle installe durablement les armées sur la voie publique où elles côtoient désormais
d’autres acteurs de la sécurité nationale que sont les gendarmes, les policiers nationaux, les
policiers municipaux et les agents de sécurité privée. En octobre 2017, la Revue stratégique de
défense et de sécurité nationale confirme les cinq grandes fonctions stratégiques des armées
(connaissance et anticipation, prévention, dissuasion, intervention et protection) et réaffirme que
seule l’action conjointe de tous les acteurs de la sécurité nationale – le fameux continuum de
sécurité nationale reconnu officiellement par le Secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale (SGDSN) en 2016 – est à même de faire face à cet autre continuum qui relie
les menaces de l’intérieur et de l’extérieur.
Or, pour faire face à des menaces désormais globales, la conceptualisation d’une chaîne reliant
tous les acteurs de la sécurité nationale des missions les plus locales et les moins sensibles

aux missions les plus internationales et les plus exposées ne règle pas les difficultés relatives à
leur coordination. Elle les accentue, au contraire. Aucune administration n’a, en effet, jamais été
désignée comme devant définir et coordonner la réalisation du continuum de sécurité nationale.
Nul ne saurait nier la place centrale qu’occupe le SGDSN mais l’effacement des repères
traditionnels ne s’est pas accompagné des réponses aux questions simples : qui fait quoi ?
Avec quels moyens juridiques et financiers ? Et sous quel contrôle ?
Une fois n’est pas coutume les réponses arriveront peut-être du ministère de l’Intérieur. Après le
Livre blanc sur la sécurité publique de 2012, le Livre blanc de la sécurité intérieure, attendu à
l’été 2020, pourrait apporter des éclairages. Les remaniements ministériels récents ont retardé
sa parution mais sa publication n’en reste pas moins une œuvre essentielle en vue de la
clarification de ces nouvelles articulations entre les forces de l’intérieur et de l’extérieur qui
partagent un même objectif : garantir la sécurité de la Nation.

Guillaume FARDE, le 26 juillet 2020

Docteur en sciences de gestion, Guillaume Farde est conseiller scientifique de la spécialité
sécurité-défense de l’Ecole d’Affaires publiques de Sciences Po où il est titulaire du cours
d’économie de la sécurité et de la défense.

Auteur de plusieurs ouvrages et articles relatifs aux enjeux de défense nationale, de sécurité
intérieure et d’intelligence économique, il est également consultant pour la chaîne d’information
BFMTV.

Guillaume Farde est, enfin, réserviste citoyen de la Gendarmerie nationale et Administrateur du
fonds de dotation pour la Garde Républicaine.

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