En France, de quoi l’extrême-droite est-elle le nom ?

 

En France, de quoi l’extrême-droite est-elle le nom ?

 

La Révolution française, « plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ » selon les mots de Victor Hugo, est à l’origine de bien des réorganisations dans notre société. Elle est aussi à l’origine de la division de la classe politique entre droite et gauche. Dans l’assemblée émergeante post-1789, siègent à droite les partisans d’un pouvoir monarchique fort. A partir de cette date et pendant près d’un siècle, droite et gauche se distingueront d’abord par leur positionnement sur la forme du régime à adopter.

Mais la droite elle-même est diverse. Dans une typologie appelée à la postérité, l’historien René Rémond distingue trois grands courants :

  • La droite légitimiste qui incarne la droite la plus conservatrice, antilibérale et antirépublicaine. Elle s’inscrit dans la lignée du mouvement contre-révolutionnaire.
  • La droit orléaniste qui prend modèle sur la politique conciliante menée par Louis-Philippe d’Orléans, unique monarque de la monarchie de juillet (1830-1848). Son idéal réside en une monarchie parlementaire et libérale de type britannique.
  • La droite bonapartiste est quant à elle décrite par René Rémond comme partisane d’un « régime autoritaire et antiparlementaire mais égalitaire et populaire ».

Deux observations sautent aux yeux. Premièrement, la notion de « droite républicaine » employée à l’envie aujourd’hui apparaîtrait comme un oxymore pour les vieilles droites légitimiste et orléaniste. Secondement, cette typologie ne fait pas de place à l’extrême-droite.

Si l’on définit l’extrême-droite comme les prises de position les plus marquées à droite, et si l’on garde à l’esprit que la droite rassemble alors avant tout les partisans d’un pouvoir fort, c’est la droite légitimiste qui fait figure d’extrême. Mais l’on voit bien que cette identification ne colle pas à la représentation contemporaine de l’extrême-droite.

 

L’émergence du camp national

Les principaux avatars et ancêtres de ce que nous appelons aujourd’hui extrême-droite s’inscrivent en fait dans l’histoire de la famille politique nationaliste, laquelle émerge, grandit et se structure dans le dernier quart du XIXème siècle autour de deux affaires restées célèbres : l’Affaire Boulanger et l’Affaire Zola.

A partir des années 1880, les formules de « camp national » et d’ « extrême-droite » apparaissent de façon simultanée et se confondent dans les grandes largeurs. La différence principale entre ces deux termes est d’ordre sémantique : le premier a une connotation plutôt positive tandis que le second est dégradant. Le qualificatif « extrême » exclut celui qui en est affublé du fameux « cercle de la raison ». C’est pourquoi on ne se revendique pas d’extrême-droite (sauf rares exceptions) ; il s’agit d’un terme utilisé par les seuls adversaires de celle-ci. Il y a quelques années, la présidente du Rassemblement national menaçait ainsi d’attaquer en justice celles et ceux qui l’assimileraient à l’extrême-droite. A l’inverse, plusieurs personnalités rangées aujourd’hui à l’extrême-droite par le reste de la classe politique se revendiquent aisément du « camp national ».

Disons-le tout de suite, la notion d’extrême droite est relativement abstraite et recouvre une réalité hétérogène. Il est toutefois possible de dégager quelques invariants :

  • L’autoritarisme. Au XIXème siècle, celui-ci se décline autour du triptyque antirépublicanisme-antiparlementarisme-militarisme. La dimension républicaine du régime va peu à peu être acceptée par différents leaders (c’est le cas par exemple de Paul Déroulède), mais la défiance vis-à-vis des parlementaires et de la « république des bavards» demeure. Aujourd’hui cet autoritarisme revêtirait plutôt une forme de populisme, de critique généralisée des médias, des juges, des dirigeants, bref des « élites ».  On pense à la formule de Jean-Marie Le Pen : « A bas la ripoublique, la république des ri-poux ».

 

  • Durant l’affaire Dreyfus, la jeune mouvance d’extrême-droite se teinte d’un fort antisémitisme et d’un intérêt marqué pour les questions raciales. Plus tard, entre les années 1930 et 1950, il n’est pas rare pour Léon Blum ou Pierre Mendès France d’être ramenés à leur judéité pour expliquer leurs traitrises supposées vis-à-vis des intérêts français (que ce soit sur la question des crédits de guerre pour Blum ou sur celle de la décolonisation pour Mendès France). Dans les années 1970 nous retrouvons ensuite l’émergence du courant négationniste.

 

  • Le nationalisme. Depuis l’affaire Boulanger, général qui tenta de réunir les déçus du parlementarisme dans les années 1880, le nationalisme, jusqu’alors plutôt plébiscité par la gauche, est devenu l’outil politique préférentiel de la droite autoritaire. Le « général la revanche » puisque c’est ainsi qu’on le surnomme, promet de laver l’affront de la défaite de 1871. Ce nationalisme constitue vraiment le point de filiation entre tous les courants et individus rangés à l’extrême-droite depuis plus d’un siècle.

Peut-être que la meilleure façon de définir aujourd’hui l’extrême droite est de parler de « populisme nationaliste ».

 

Des ligues à Vichy

Au tournant des XIXème-XXème siècles et jusque dans l’entre-deux-guerres, le « camp national » s’articule autour de ligues que sont la Croix de feu, l’Action française, la Solidarité française… Les maîtres à penser de cette droite nationaliste ont pour nom Maurice Barrès, Charles Maurras, Edouard Drumont… Ces ligues s’opposent au pouvoir républicain en place sur fond de crise généralisée tandis que le militarisme de la mouvance s’accroit. Des officiers supérieurs comme le colonel Larocque prennent la tête du mouvement et les anciens combattants forment le gros de l’Action française dans les années 1920-1930 alors même que celle-ci atteint son apogée.

Dans les années 30 on retrouve aussi un grand parti fasciste en France, le Parti populaire français qui réunit extrême-gauche et extrême-droite autour de Jacques Doriot. Le parallèle entre Mussolini et Doriot est intéressant puisque tous deux viennent de la gauche. Doriot, ouvrier, est issu du Parti communiste dont il était une des figures éminentes. Son parcours est une puissante ironie puisque c’est ce même Doriot qui revêtit durant la guerre l’uniforme allemand avec le grade de lieutenant de la Waffen-SS et qui fut, dans les années 1930, l’un des premiers partisans du front populaire et l’initiateur d’un « Comité de défense antifasciste » !

En 1936, le gouvernement de Léon Blum dissout les Ligues d’extrême-droite. Mais celle-ci ne disparaît pas pour autant et revêt les habits du terrorisme notamment à travers la Cagoule.

En juin 1940, pour la première fois, l’extrême-droite et les idées nationalistes accèdent au pouvoir (le pouvoir dont dispose un pays sous occupation) par l’intermédiaire du maréchal Pétain. Mais l’occupation est également l’occasion pour l’extrême-droite de rappeler combien elle est hétérogène car certaines de ses figures les plus éminentes, à l’instar du colonel Larocque, poussent à la résistance.

C’est une facilité intellectuelle que de ranger tous les personnages ayant eu un comportement déshonorant durant la Seconde Guerre mondiale sous l’étiquette d’extrême-droite. Laval était-il d’extrême-droite ? Socialiste et chantre du pacifisme, il n’est ni particulièrement nationaliste ni militariste. Ministre dans les années 20, notamment dans le gouvernement d’Aristide Briand son mentor, puis président du conseil, il est l’un des pères de ce qui deviendra la sécurité sociale dans l’après-guerre. Il est alors un républicain bien ancré, estimé et modéré.

 

L’extrême droite moderne

Après la Seconde Guerre mondiale, l’extrême-droite moderne se structure d’abord autour du rejet de la position du général De Gaulle sur l’Algérie. La défense de l’Algérie française devient le grand combat de la mouvance nationaliste et le champion en est l’OAS qui, comme la cagoule dans les années 30, recourt au terrorisme comme mode d’action. Malgré l’acquisition définitive de l’indépendance par l’Algérie, de nouveaux partis d’extrême-droite émergent.

En 1971 apparait Ordre nouveau dont le nom constitue une référence explicite à Pétain. En 1972 c’est la naissance du Front national (FN) dont l’objectif est de réunir les différentes familles d’extrême droite. Dès le début il y a un souci d’être plus respectable (par rapport à Ordre nouveau qui se trouve dissout en 1973 par exemple) avec très vite une volonté d’intégrer le jeu politique. En 1972, Jean-Marie Le Pen disait « Nous sommes la droite. Nous sommes la droite populaire […], nous sommes la droite sociale […], nous sommes aussi la droite nationale […] ».

Malgré tout, l’extrême droite est plutôt marginalisée dans les années 1970 ; elle semble à court de grand combat et ce sont les gaullistes qui apparaissent comme les garants de l’ordre et du patriotisme. Ainsi, Jean-Marie Le Pen récolte moins d’1% des suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle de 1974. Son succès populaire arrive plus tard, à partir des années 1980, et il se construit autour du lien chômage-immigration et d’une rhétorique anti-élite. Il s’agit pour beaucoup d’un discours social et le Front National devient peu à peu un parti de masse. Le Rassemblement National, son héritier direct, récolta plus de 35% du vote ouvrier lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 ce qui lui confère de fait le titre de « premier parti ouvrier » de France.

Depuis plus d’une décennie, les partis et personnalités rangés à l’extrême-droite ont affiché une volonté et une capacité à remporter des scrutins électoraux. C’est ce qui différencie l’extrême droite de l’ultra-droite (qui réunit des mouvements comme Recolonisation France, Génération identitaire, etc.). La première a intégré le jeu démocratique et souhaite accéder au pouvoir par les urnes tandis que la seconde recourt à la violence et reste hors du champ politique classique. Bien sûr, la séparation entre extrême-droite et ultra-droite ne saurait être parfaitement étanche. Aujourd’hui l’ultra-droite rassemblerait environ 2 000 personnes.

Ce total est assez faible si on le compare aux dizaines de milliers d’individus qui formaient les rangs des ligues d’extrême-droite dans les années 1930. Mais il faut voir qu’en parallèle l’idéologie nationaliste extrême peut compter sur internet comme relai. C’est la fameuse « fachosphère » qui englobe pêle-mêle les propos racistes, complotistes, populistes, etc.

 

Maxime Halvick

 

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