Éloge du désespoir

 

Après une phase de sidération, le temps semble venu de réfléchir à l’après crise. Chacun émet ses spéculations et ses hypothèses en accord avec son histoire personnelle et sa sensibilité politique :

– Mettre fin aux inégalités sociales
– Mettre fin aux excès de l’économie financière.
– Préserver la nature
– Donner la priorité aux secteurs de l’éducation et de la santé.
– Soutenir la recherche scientifique
– Relocaliser les productions stratégiques
– Accompagner les entreprises citoyennes
– …..
Les gouvernants ne sont pas de reste et préconisent :
– La sauvegarde de l’État
– Le soutien des entreprises
– La relance du pouvoir d’achat
– La refondation du système de santé
– La solidarité régionale
– La mutualisation des moyens
– …

Les gouvernements mobilisent d’urgence des sommes colossales, notamment 500 milliards d’euros pour l’Europe et enjambant allègrement la crise de 2008,ils affirment que ce que vit aujourd’hui le monde ne peut être comparé par son ampleur qu’à la grande crise de 1929. La crise historique a entraîné une réorientation du système capitaliste en ouvrant la porte à l’intervention de l’État pour contenir l’instabilité des marchés, contrôler les prix et les salaires et aussi faire adopter des régimes d’assurances sociales et doter les syndicats d’un droit de négociation.

La crise de 2008,elle, eût droit à une autre thérapie : La prescription d’un traitement monétaire et budgétaire qui a surtout consisté à aérer la masse monétaire et à renflouer les banques. Cette thérapie ne parle pas beaucoup au grand public qui est en est pourtant le seul débiteur en dernier ressort et pour longtemps.

A la sortie de ces séismes économiques, ce qui a été pompeusement appelé un tournant historique dans le fonctionnement du capitalisme n’a été, dans les faits, qu’une adaptation des roues de la locomotive économique aux rails sociaux.
Rapidement le monde des finances a desserré les contraintes de la réglementation et le capitalisme a rattrapé par la géographie ce qu’il a perdu par l’histoire.
La dérégulation économique et financière a même profité de l’arrivée au pouvoir d’hommes amortisseurs de la colère populaire. Partout l’élite politique et les champions de la finance se rapprochent.
Le système revisité n’est plus qu’un slogan.

Le changement n’est plus que l’autre nom de l’instinct de conservation d’un système économique décontenancé par ses propres abus.

Alors faut-il en désespérer ?

Oui,seul le désespoir est salvateur.
En entretenant l’espoir chez l’homme, le système assure sa survivance. L’espoir de satisfaire ses désirs, l’espoir d’avoir plus de pouvoir sur la nature, l’espoir de faire reculer l’incertitude, l’espoir d’être un jour heureux.

Ainsi l’espoir rend l’homme esclave de désirs qui se renouvellent et se multiplient sans cesse.
Mais l’espoir avance dans la vie à visage masqué : Il est la prévision quand il s’associe au bon sens,il est la précaution quand il fait preuve de responsabilité, il est la projection quand il se targue de fiabilité, il est la prospective quand il s’allie à l’intelligence humaine, il est la prédictive quand il s’accapare des mega-données et de l’intelligence artificielle. Le système s’en nourrit sans modération.
Si l’espoir est de désirer ce qui excède le pouvoir de l’homme, il ne peut être le chemin vers le bonheur.
L’homme est limité dans sa liberté par la nature et le droit et le succès de ses actes ne dépend pas que de lui.

Si perdre l’espoir est enfin ajuster ce que l’homme veut à ce qu’il peut, alors le désespoir est le moyen de reprendre la maîtrise de sa volonté.
Le tragique de son présent doit pousser l’homme à chercher dans l’insuccès de ses entreprises l’occasion d’éprouver de nouveau ses forces mais cette fois ci débarrassées des excès de ses désirs.
La course aux possessions Éphémères a détourné son intelligence de son but ultime : la vie.
Désespérer d’un système c’est remettre sa volonté au service de son pouvoir. Si les désirs de l’homme relèvent enfin de sa volonté, sa pensée s’organise autour de cette équation et il pourra reconstruire son identité réelle :
” Je pense ce que je suis”.

 

Par Mohamed ABBOU,
Conseiller du CEPS
Ancien Ministre de la Culture & Ancien Membre du Conseil Constitutionnel de la République
d’ALGERIE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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