D’hier à aujourd’hui, la France et les Afriques – Pour aujourd’hui et demain : l’urgence sécuritaire (3/3)

 

Et maintenant on fait quoi ? Pourquoi et comment continuer à agir pour bâtir avec l’Afrique une relation décomplexée et exigeante recentrée sur la sécurité et le développement local à la hauteur de nos moyens.

On l’aura compris, le défi le plus grave et le plus urgent que les pays africains francophones et, au-delà, le continent, doivent relever est et sera, pour longtemps encore, celui de la sécurité au sens large. Les mouvements islamistes ont tout le temps devant eux pour espérer déstabiliser et occuper de plus en plus de territoires en sapant les fondements des pouvoirs en place, souvent corrompus, en exploitant les frustrations sociales, la pauvreté et l’ignorance des populations afin de gagner à leur cause la jeunesse désœuvrée et en perte de repères, et en continuant de harceler partout les forces militaires africaines et françaises au sahel jusqu’à susciter lassitude et découragement. La mort, même de leurs chefs, n’est en aucun cas un frein à leur volonté de domination et d’imposition de l’islamisme radical et ils ont encore les moyens financiers de nuire et des bases de repli.

Nous n’avons pas le même système de valeurs et nous avons trop de considérations d’ordre moral que les islamistes considèrent comme une forme de faiblesse. Il est donc à craindre que les enlèvements continueront vraisemblablement pour des rançons qui devront être payées ou pour des concessions politiques majeures et il faut admettre hélas que d’autres soldats africains et français paieront de leur vie cet engagement.

La fragilité institutionnelle des pays africains concernés et la persistance de la pauvreté et des inégalités sont des facteurs limitants de notre action en dépit des meilleures volontés. L’impact désastreux de ces conflits sur les économies locales, la santé, l’éducation, le contrôle des zones de production, notamment pétrolières, comme sur les mentalités et le moral des troupes est connu des groupes terroristes et reste un objectif pour arriver à leurs fins.

– Coupler sécurité du développement et développement de la sécurité

Comme j’ai eu l’occasion de le développer dans ma contribution à l’ouvrage collectif « La défense au pied du mur », publié par le CEPS, il est essentiel que chaque euro dépensé par la France au titre de la sécurité en Afrique soit considéré également comme une contribution à l’aide publique au développement, n’en déplaise aux statisticiens de l’OCDE. Il s’agit d’un concept de sécurité au sens large englobant la défense de l’intégrité du territoire comme des zones économiques sensibles et celles à forte concentration de population et de structures éducatives, sanitaires et sociales.

Partout, des réseaux régionaux de vigilance et d’alerte pourraient être constitués pour informer les autorités et les partenaires étrangers sur le terrain, sur tous les évènements pouvant affecter la stabilité des communautés villageoises dans les zones vulnérables (incursion de personnes étrangères, d’hommes armés, de prédicateurs islamistes, emprise idéologique et financière, etc.).  Une cartographie dynamique des zones de vulnérabilité permettrait ainsi de prévenir les menaces et d’intervenir en amont. L’Europe devra sortir de sa frilosité et s’impliquer au moins financièrement.

– Notre aide au développement doit désormais et en complément de la sécurité, se focaliser sur le développement local et la lutte contre la pauvreté en particulier en milieu rural

Il n’est plus possible de se disperser compte tenu de la faiblesse durable de nos capacités financières sous forme de dons. Ces derniers ne devraient plus profiter aux états y compris les aides budgétaires souvent destinées dans le passé à des dépenses de souveraineté mais être réservés, sous certaines conditions, à des projets de proximité mis en œuvre par des collectivités locales, des organisations non gouvernementales et microentreprises triées sur le volet. Un répertoire de partenaires de référence des organisations africaines et françaises de la société civile gagnerait à être élaboré sur la base d’une charte d’éthique, d’indépendance et de laïcité avec des objectifs contractualisés quantitatifs et qualitatifs (culture démocratique et de paix, transparence, égalité hommes-femmes) et la garantie d’indépendance car trop d’ONG africaines sont encore sous influence ou dirigées en sous-main par des hommes politiques. Au nom du couplage sécurité-développement, les autorités militaires devraient être étroitement associées à l’identification et au suivi des projets de cohésion sociale.

Les prêts dits à condition spéciale de l’Agence Française de Développement devraient se concentrer sur les secteurs vitaux comme l’agriculture vivrière, la protection de l’environnement, l’éducation et la formation des jeunes (en particulier des jeunes filles), l’accès à l’eau et à l’énergie et les soins de santé primaire. Quant aux prêts aux conditions du marché, ils doivent rester réservés aux projets du secteur privé. Les états africains devraient désormais prendre en charge la totalité de leurs dépenses de souveraineté (hormis la sécurité en partage) et d’une manière générale tout ce qui a trait à la gouvernance, aux institutions et aux infrastructures.

S’agissant de la culture au sens large, il appartient aux états africains d’en assumer l’essentiel et il ne me paraîtrait pas anormal, pour favoriser la reconquête identitaire, que toutes les œuvres culturelles africaines présentes dans nos musées puissent à un horizon raisonnable être restituées aux pays concernés, à charge pour eux de les valoriser et de les protéger.

La question des conditionnalités de l’aide mérite également d’être posée : l’expérience de plusieurs décennies de coopération a montré que s’il était normal d’assortir parfois nos aides de conditions, il aurait été tout aussi normal de sanctionner les états bénéficiaires qui ne respectaient pas les conditions posées et acceptées. Toute la question est là : il ne sert à rien de poser des conditions si l’on sait qu’on ne voudra pas ou qu’on ne pourra pas (considérations politiques ou techniques) mettre en œuvre des sanctions. Beaucoup de responsables de la coopération ont en fait l’expérience, à Paris comme en Afrique. Notre crédibilité en a souvent pâti contrairement aux institutions financières internationales. La question est sensible, en particulier dans le cadre de notre engagement en défense-sécurité.

En matière de promotion des jeunes talents africains, la France comme les collectivités locales devraient consacrer davantage de bourses d’étude pour accueillir dans nos universités et grandes écoles un nombre plus important de jeunes doctorants et élèves-ingénieurs africains sur la base de contrats Formation-retour impliquant qu’au terme de leurs études (limitées dans le temps), et après une éventuelle phase d’immersion professionnelle d’une année en France, ils devront obligatoirement rejoindre leurs pays d’origine pour mettre leurs talents au service du développement. C’est à l’occasion de ce retour qu’ils recevront de nos ambassades les originaux de leurs diplômes et qu’ils pourront bénéficier, le cas échéant, d’aides pour la mise en œuvre de projets préalablement validés. Des membres des diasporas africaines (et franco-africaines) devraient pouvoir s’impliquer dans ces programmes sur la base de tutorats.

C’est le lieu d’exprimer ici de légitimes inquiétudes au regard de l’émergence récente au sein de nos universités, d’idéologies racialistes, antisémites, indigénistes, décolonialistes et immigrationnistes, habilement instrumentalisées par des ONG et des mouvements politiques.

Il est essentiel que les diasporas africaines, attachées au socle de nos valeurs républicaines et qui ont bénéficié du concours de la France pour étudier, vivre et prospérer librement dans notre pays, se tiennent résolument et loyalement à l’écart de ces idéologies mortifères. Elles éviteront ainsi de nourrir des sentiments de défiance à leur égard. Elles doivent donc en priorité mettre leurs talents, leur solidarité et leur vision du monde moderne au service d’un nouveau partenariat franco-africain qu’ils appellent également de leurs vœux, de surcroît au moment où l’Afrique est menacée et, au-delà, la France, l’Europe et le monde.

William BENICHOU

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