D’hier à aujourd’hui, la France et les Afriques – De la Françafrique à la France sans fric (2/3)

 

« De la Françafrique à la France sans fric » (2/3)

La transition de l’aide française, du paternalisme au partenariat, de l’universalisme au pragmatisme, est encore trop lente et a fait de nous, jadis partenaire de référence, un acteur ordinaire d’une nouvelle donne diplomatique : « de la Françafrique à la France sans fric »

Contrairement à l’Algérie dont l’accession à l’indépendance en juillet 1962 fut l’aboutissement d’un processus révolutionnaire et de huit années de guerre suivies des fameux accords d’Evian, les quatorze pays africains francophones, anciennement colonies françaises, se sont vues « octroyer » l’indépendance par le général de Gaulle sans qu’il ait été besoin pour les responsables africains de l’époque de recourir à une action armée contre la France, et ce vingt ans après que des milliers de « tirailleurs sénégalais » se soient engagés aux côtés des armées françaises pour combattre l’Allemagne nazie et libérer la France. On comprendra alors que les relations avec l’Algérie indépendante soient à ce jour encore si difficiles et crispées depuis 1962 en comparaison avec la transition globalement paisible des quatorze pays africains francophones, engagés depuis 1960 dans une relation certes très étroite avec la France mais nécessitant encore des adaptations et évolutions.

Ayant été acteur de terrain puis diplomate du développement dans plusieurs de ces pays, je distinguerai trois grandes périodes pour caractériser la relation franco-africaine :

– De 1960 à 1980 : au lendemain des indépendances et jusqu’aux premiers plans d’ajustement structurel de la Banque Mondiale (après les chocs pétroliers de 1973 et 1979), la France a accompagné le développement dans tous les secteurs en privilégiant la stabilité politique et le maintien des premiers présidents africains élus et ce afin de protéger nos intérêts stratégiques et ceux des entreprises françaises, encore des comptoirs coloniaux jusqu’en 1960. Durant cette période, la France « a fait plaisir »  aux dirigeants africains, quasiment les mêmes qu’en 1960, en mettant à disposition un vaste réseau de milliers d’experts, professeurs, médecins, agronomes, ingénieurs, policiers et militaires,…et des aides budgétaires, tant les besoins de ces pays encore fragiles étaient importants et tant la France tenait à jouer un rôle de premier plan en qualité de premier donateur. C’était l’époque phare dite de la substitution avec son rituel de commissions mixtes bilatérales annuelles, grandes messes au cours desquelles on reconduisait les aides sans trop s’interroger sur les priorités et encore moins sur les arbitrages, avec le souci de contenter le partenaire et de consolider notre présence. Les chefs des missions d’aide et de coopération institués depuis 1960 et nommés par décret présidentiel, étaient la pièce maîtresse du dispositif. La Caisse Centrale de la France libre puis d’Outre-mer (1941-1959), devenue en 1958 Caisse centrale de coopération économique jouait pleinement son rôle aux côtés des chefs de mission.

– De 1980 à 1997, la coopération s’est poursuivie avec quelques adaptations (j’avais été alors chef de mission en Centrafrique puis au Burundi et au Togo) et un recours massif aux aides budgétaires et à l’aide projet. Cette même période sera celle de l’abandon progressif du système d’abonnement des commissions mixtes et de l’adoption d’un cadre stratégique et prospectif désigné pompeusement « Orientations à Moyen Terme » (OMT) pour ancrer chacune de nos actions à un objectif jugé prioritaire pour chacun des quatorze pays. Durant ces deux décennies, la France « s’est fait plaisir » en quelque sorte, en renforçant l’intervention de sociétés, bureaux d’études, cabinets d’experts et laboratoires d’idées et en plaçant nombre d’experts aux postes-clés des administrations africaines. Les représentants du ministère de la coopération sur le terrain dénommés avec une petite nuance, chefs des missions françaises de coopération de d’action culturelle, jouissaient comme auparavant (décret présidentiel) d’une grande autonomie et d’un certain prestige. La dépendance des pays africains est restée aussi forte et la Caisse Française de Développement, rebaptisée ainsi en 1992 après le sommet de la Baule, était désormais habilitée à faire des dons avec des conditionnalités en matière de gouvernance.

Le rôle joué par Jacques Foccart, longtemps Monsieur Afrique de l’Elysée, fut, durant ces quatre décennies, déterminant, en particulier avec l’émergence du concept de la Françafrique, chère au président Houphouët-Boigny, qui traduisait en fait le caractère spécifique de la relation franco-africaine, multiforme, fructueuse et exemplaire, mais qui a fini par être dévoyée.

– A partir de 1998, le processus de rupture est engagé : la grande réforme de la coopération s’est soldée en fait, avec la cohabitation Chirac-Jospin, par une OPA du Quai d’Orsay sur le ministère de la coopération dont le nouveau ministre délégué, conscient des difficultés de la tâche, a voulu s’entourer d’anciens chefs de mission de coopération (j’y étais sans enthousiasme mais avec loyauté) pour cautionner et mettre en œuvre une réforme très mal perçue par la majorité du personnel mais qui répondait surtout à une pression du corps diplomatique qui a invoqué un vieux décret de 1979 sur les pouvoirs des ambassadeurs…et accessoirement à un besoin de cohérence diplomatique. La réforme est passée et les anciens chefs de mission de coopération ont été rebaptisés « conseillers de coopération et d’action culturelle (Cocac) » par simple arrêté ministériel. Le nouveau gouvernement qui voulait sortir de quatre décennies d’une coopération jugée dépassée, a décidé, sans horizon budgétaire clair, de promouvoir une nouvelle vision des relations franco-africaines à travers des « Documents cadres de partenariat pour le développement » tandis que l’Agence Française de Développement (dernière appellation) montait en puissance sur un plan stratégique et financier, en reprenant la gestion d’une grande part des fonds jadis gérés par le ministère à tel point que beaucoup d’agents des affaires étrangères considèrent que le véritable ministre chargé du développement international est le directeur général de l’Agence, le ministère s’étant en quelque sorte « ONGisé » depuis l’impulsion donnée par un ministre adepte de la diplomatie d’ingérence humanitaire et à la faveur des ravages d’un néo-tiers-mondisme mâtiné de droits de l’hommisme. Mais cette volonté de partenariat novateur s’est vite heurtée au mur de Bercy qui voyait là une occasion rêvée d’opérer des coupes budgétaires drastiques comme dans les effectifs d’assistants techniques français, directement ou à travers le concept destructeur du « gel budgétaire » pour empêcher la mise en œuvre de budgets votés…

Contrairement à la montée en puissance de la Chine, du Japon, de l’Inde, du Brésil, du Maroc, de la Corée du Sud, de l’Afrique du Sud, des pays du golfe et de la Turquie, et d’autres comme l’Allemagne,  la France n’avait plus, en gros à compter de mai 2002 (départ de Jospin), les moyens de ses nouvelles ambitions et les acquis de plus de quarante années d’investissement humain et financier en Afrique se sont pratiquement envolés, réduisant notre influence politique, commerciale (2/3 des positions perdues) et technologique et plus grave, notre présence humaine (enseignants, techniciens et experts, volontaires,…). L’obsession multilatéraliste de nombre de nos diplomates a fini, avec la complicité de Bercy, par dépouiller le ministère d’une grande partie de ses prérogatives et crédits bilatéraux, et en dépit d’un rôle accru de l’AFD, le seuil mythique de 0,7% du PIB est encore loin devant nous. Quant au concept de « diplomatie économique » concocté par L. Fabius en 2012 pour reconquérir les parts de marché perdues et rendre la France plus attractive, il n’a pas produit les résultats escomptés.

Last but not least, les promoteurs du nouveau partenariat qui venaient de lancer un nouveau slogan : « faire mieux avec moins », se sont aussi accommodés de l’idéologie du déliement de l’aide – concept à classer au registre des « sanglots de l’homme blanc » de Pascal Bruckner, nous conduisant à consentir des prêts à des états en leur donnant une totale liberté de lancer des appels d’offres jusqu’à aboutir à écarter des entreprises françaises ! Japonais, chinois et américains en feraient-ils autant ? Un ancien collègue, directeur au ministère de la coopération et ancien directeur général de l’AFD, m’avouait il y a quelques années que cette réforme avait été un immense gâchis.

Il a fallu hélas la crise du nord Mali à partir de janvier 2012, suite à une insurrection de groupes Salafistes et indépendantistes pro-Azawad avec des menaces évidentes pour nos intérêts économiques et pour l’Europe en termes de sécurité et de flux migratoires, pour que la France comprenne que la pauvreté était loin d’être maîtrisée et que les islamistes y trouvaient là un terreau idéologique idéal et matière à incriminer notre politique africaine et les dirigeants africains. Le dernier coup d’état au Mali, la volonté de ce pays d’entamer un dialogue avec les terroristes du nord, l’ingratitude des autorités alors que plusieurs de nos soldats y ont trouvé la mort (pour qui et pour quoi ?), l’émergence d’un climat populaire hostile à notre intervention et les nouvelles incursions terroristes jusqu’ au Burkina et au-delà n’ont pas suffi à entamer la détermination de la France de poursuivre la traque des terroristes. L’enjeu sécuritaire est en effet capital pour le moyen et long terme alors que beaucoup de français s’interrogent sur l’utilité de cet acharnement chèrement payé et sur l’absence à nos côtés d’autres soldats européens dans le sahel. Paradoxalement, notre ministre de la défense est devenue un acteur incontournable de notre diplomatie.

William BENICHOU

 

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