Craintes pour demain

 

Il était impossible d’anticiper le COVID-19 car, par définition, demain est un jour inconnu et incertain. Le Général De Gaulle, n’a pas prévu la crise sociale de mai 1968, Jacques Chirac n’a « pas vu venir » les grèves de 1995, Nicolas Sarkozy a dû réagir rapidement à la crise économique et financière de 2008, et François Hollande a subi de plein fouet le terrorisme islamiste en 2015. Tous ont dû revoir leurs discours, leur programme, et adapter leurs convictions.

L’avenir est un abysse d’incertitudes. En France, nous retrouvons peu à peu notre liberté de mouvement. Paradoxalement, les éléments épidémiques repartent à la hausse en Chine, pays qui a reconfiné une partie de sa population. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’une nouvelle vague en Europe et en France, dans un futur très proche. Avec cette absence de perspectives, tâchons de regarder la situation mondiale avec lucidité et pragmatisme.

INQUIÉTUDES ÉCONOMIQUES

La crise aura des conséquences bien plus que sanitaires sur l’ordre mondial. Une certitude : les répercussions seront autant économiques, sociales, qu’humaines.

Les prévisions actuelles affichées sont claires : début juin, Bercy a annoncé la possibilité d’une hausse d’1 million de chômeurs en France. Pour mémoire, en janvier dernier, le gouvernement français se vantait de la création de 500000 emplois, depuis 2017, et d’une croissance de 1,4%, en 2020. On parle désormais de la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale. La crise économique est donc déjà là et fait le lit du choc social. Dans les « couloirs » de La Maison de la radio, les médias s’affolent face au possible licenciement de 7000 personnes chez Air France. C’est l’arbre qui cache la forêt. Tous les secteurs seront touchés, du tourisme à l’agroalimentaire, en passant par le secteur manufacturier. On ne devrait assister à un retour à la normale qu’en 2023. Les milliards débloqués par l’État n’empêcheront pas les licenciements, mais ces derniers auraient été bien pires sans cette aide.

INQUIÉTUDES SOCIALES

La relance économique est impérative pour maintenir la cohésion sociale et restaurer une culture de confiance entre les citoyens et les responsables politiques et économiques. Il est inconcevable d’imaginer une paix sociale, sur le long terme, dans une société en proie au chômage de masse, à la désespérance, et à la violence.

Après les manifestations populaires de ces dernières années, qui pointaient du doigt les failles de notre modèle économique, et les récents débats autour des violences policières, la rupture du contrat social semble aujourd’hui fortement consommée. Comment expliquer aux femmes et aux hommes qui « travaillent dur » que les sacrifices qu’ils font vont déboucher sur une relance bénéfique ? Il y a un an, l’État n’avait aucun milliard pour répondre à la crise sociale, aujourd’hui, il en a assez pour répondre à la crise sanitaire…

INQUIÉTUDES SÉCURITAIRES ET TECHNOLOGIQUES

La mise en quarantaine du monde a poussé chacun d’entre nous à se réinventer. Grâce à la révolution numérique, nous avons pu parler à nos proches, continuer de travailler à distance, nous divertir, nous cultiver. C’est une chance. Pourtant, cette période a aussi montré que nous sommes complètement dépendants du numérique, des nouvelles technologies, d’internet et des réseaux sociaux. Selon le cabinet d’études britannique Kantar, l’utilisation des réseaux sociaux a augmenté de plus de 60% pendant le confinement, ce qui n’est pas totalement rassurant. Le Cloud Act, conclu en 2018 entre l’état fédéral et les géants du numérique, permet aux États-Unis d’avoir accès aux données de millions d’utilisateurs, sans que ces derniers en soient informés. Dans leur essai, L’homme nu – La dictature invisible du numérique, paru en 2016, Marc Dugain et Christophe Labbé ont tiré la sonnette d’alarme sur la valeur de ces données et le monopole que les États-Unis exercent sur elles. Nous devons en prendre conscience car l’Europe est la grande absente de la compétitivité numérique. Entre les GAFAM, les BATX, les NATU, le vieux continent n’est que spectateur du « match digital » qui se joue sans lui. La surveillance de masse ne doit pas être le mot d’ordre de l’après-crise : 2020 ne peut pas être « 1984 ». Le recours à la technologie est une très bonne chose si elle est maîtrisée. Soulignons par ailleurs que cette digitalisation exponentielle mettra certains d’entre nous en état de faiblesse : États, entreprises, particuliers…. Le virus changera de forme et deviendra numérique, ce qui peut rapidement devenir incontrôlable, les élites n’étant pas assez formées à la cybersécurité.

INQUIÉTUDES GÉOPOLITIQUES

Bien avant la crise du COVID-19, on sentait, au fil des sommets internationaux, se fissurer un monde multilatéral. Aujourd’hui, les États-Unis menacent de quitter l’OMS : « America First » est devenu « America Only ». Dans un monde universel, c’est désormais chacun pour soi. On assiste au retour d’une forme de nationalisme économique qui pourrait même atteindre la dynamique politique. Si la crise a révélé une mondialisation hors contrôle, avec une division du travail dérégulée et des secteurs industriels où les États sont totalement dépendants des autres continents, le multilatéralisme est nécessaire. La coopération entre pays est indispensable, aussi bien pour trouver un vaccin, que pour stimuler la relance. Pourtant, la tendance semble être à l’isolationnisme et à l’hégémonie des États continents. Plusieurs régimes ont révélé leur étatisme autoritariste avec une tendance mensongère, en cristallisant leurs idéologies et en animant les théories du complot. Après plus de 70 ans de promotion des institutions internationales, demain rime peut-être avec la fin de la gouvernance onusienne, rongée de l’intérieur. L’unilatéralisme progresse avec de grands États comme la Chine, les États-Unis, l’Inde ou la Russie. L’Europe doit s’imposer en État continent, sinon comment peut-elle exister ?

INQUIÉTUDES CLIMATIQUES

L’amélioration de la qualité de l’air grâce aux 2 mois de confinement global a rappelé qu’une crise bien plus grave se déroule sous nos yeux et les scientifiques, écoutés aujourd’hui mais longtemps ignorés, ont pourtant tiré la sonnette d’alarme depuis 50 ans : les rapports du GIEC sont éloquents. La crise du dérèglement climatique a déjà fait plus de morts que le coronavirus, en 2019. En effet, 4000 personnes, en moyenne, meurent chaque jour de la pollution en Chine, et des dizaines de milliers de migrants climatiques risquent leur vie pour fuir les sécheresses de l’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la pandémie se dresse comme un obstacle à surmonter impérativement ; demain, les dirigeants feront face à des crises quasi permanentes en raison du changement climatique. Les autres sujets de sociétés tels que l’emploi, la sécurité ou l’éducation seront à la remorque du climat car ce dernier déterminera notre existence même, sur terre, en tant que civilisation. Il nous faut agir à l’échelle européenne, sinon ce sera dramatique. Cette période nous a montré que nos écosystèmes ont besoin de reprendre un nouveau souffle.

LE MOT DE LA FIN

La crise sanitaire a bouleversé nos habitudes, nos repères, notre histoire, nos cultures et notre quotidien à nous, Français, Européens, férus de liberté. L’avenir se fera en comprenant les paradoxes avec subtilité ! L’impératif du bon sens s’impose.

Par Tom RICCIARDI,
Etudiant
Sciences Po LYON

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