Comment faire de l’univers carcéral un lieu d’adaptation et de reconstruction, et pas seulement d’enfermement et de sanction ?

  • La situation actuelle des lieux de privation de liberté

Aujourd’hui en France, le système pénitencier semble à de multiples égards totalement dépassé. La surpopulation carcérale, le manque d’hygiène et les violences sont les principales problématiques pointées du doigt.

Tout d’abord, la surpopulation est impressionnante, certaines prisons ont un taux d’occupation qui atteint 186%. Les contrôleurs observent que pratiquement aucun détenu n’est seul en cellule, les personnes sont contraintes de devoir cohabiter « étroitement ». Les chambres de 3 personnes mesurent la plupart du temps seulement un peu plus de 4 mètres carrés s’il on prend en compte la place qu’occupe le mobilier (lits, lavabos etc).

Conséquence de cette surpopulation carcérale, peu de détenus réussissent à accéder à des activités, qu’il s’agisse d’un travail ou d’une formation. Même les services de réinsertions sont saturés, ainsi les prisonniers effectuant une courte peine n’ont même pas l’occasion de bénéficier de ces services.

En plus d’évoluer dans des conditions extrêmement précaires, les détenus ont dû appréhender en période de pandémie une restriction de « libertés » encore plus importante. Les activités ont nettement ralenti, l’organisation de la prison a semblé à certains moments comme « paralysée ». Il a paru impossible d’organiser des activités en ligne car l’accès à Internet, était interdit dans les cellules.

Enfin, les observateurs constatent une insalubrité patente qui se traduit par la présence de rats dans la cour, les parties communes sont jonchées de détritus, les salles de bain ont des moisissures…

A cela s’ajoute un climat de violence et d’insécurité permanent, avec des agressions entre détenus mais aussi des violences verbales de la part du personnel pénitentiaire qui fait aussi usage d’un recours excessif à la force. Dans les centres de détention où il y a les « longues peines » il y a une hiérarchie importante : les caïds sont les braqueurs et dans une moindre mesure les terroristes. La violence ne s’exerce jamais sur les caïds, elle s’exprime sur les « pointeurs » (violeurs, pédophiles). Les prisonniers qui ont des sorties subissent des pressions pour effectuer des missions pour les « supérieurs hiérarchiques », en l’occurrence pour aller chercher de la drogue…

  • En France en 2021 on ne compte pas moins de 66 000 prisonniers, l’Etat ne semble pas en mesure de pouvoir assurer le bon fonctionnement de ces structures.

En dépit de ces constats plus qu’alarmant, les médias et l’opinion publique ne semblent pas vraiment interpelés par ces enjeux. Depuis quelques décennies, l’éloignement des prisons à l’écart des centres villes a sans doute renforcé l’isolement médiatique du système carcéral. Le film « Prison Valley » (2009) donne un exemple de cas où la prison fait partie intégrante de l’espace publique et des infrastructures de proximité. L’œuvre relate l’histoire d’une ville au sein de laquelle les autorités ont demandé aux habitants s’ils préféraient implanter dans leur quartier une université ou une prison. Ils ont opté pour une prison notamment parce qu’elle apparaissait comme une source plus créatrice d’emplois.

Si les prisons sont assez marginalisées dans l’espace public, c’est aussi parce qu’elles sont un lieu symbolique de la reproduction sociale. Il est intéressant de voir à quel point la majorité des prisonniers est issue de milieux défavorisés. Cette dimension sociologique permet de faire le lourd constat que l’Etat échoue à donner sa chance aux couches sociales populaires. Une part importante des personnes en détention est analphabète et les jeunes emprisonnés sont souvent issus de l’aide sociale à l’enfance.

  • L’encadrement pénitentiaire est encore trop superficiel

 L’encadrement pénitentiaire est symptomatique de la situation alarmante dans les prisons. Il est caractérisé par un manque de moyen et de formation. Il se décompose en plusieurs postes, dont deux principaux qui sont au contact du prisonnier :

Tout d’abord les surveillants sont en général les moins bien notés des concours administratifs et occupent bien souvent cette activité comme un « déclassement » : c’est une relégation plutôt qu’une vocation. De plus, la formation à l’école nationale de l’administration pénitentiaire a été raccourcie car les prisons ont besoin de plus de personnel. La conséquence de cette pratique est que de plus en plus de fonctionnaires pénitenciers apparaissent sans doute assez faiblement préparé à cette violence quotidienne. Quand la formation n’est pas assez poussée, le surveillant encourt de forts risques dans son travail du quotidien car il y a énormément de violences. Dans ce contexte, il arrive que des surveillants soient condamnés pour violence sur détenus. Ce qui est assez rare compte tenu d’une certaine omerta qui s’instaure bien souvent.

L’encadrement pénitentiaire inclue également les intervenants extérieurs qui jouent un rôle majeur dans la vie du prisonnier. Ils proposent des activités et travaillent pour réinsérer socialement les détenus. Le problème est que seuls 20% des détenus ont du travail. Ce frein à l’embauche est dû au fait que le recrutement de prisonniers semble nuire à l’image des entreprises (on peut remarquer qu’un certain nombre de marques de luxe donnent du travail aux prisonniers mais sont particulièrement frileuses à le faire savoir). Afin d’endiguer un tel problème, il conviendrait sans doute de développer un argumentaire positif, en l’occurrence de montrer qu’embaucher des salariés prisonniers n’est pas une forme d’exploitation mais un service rendu, bien que les salaires soient extrêmement faibles : entre 1,2 euros et 4,30 de l’heure. Il conviendrait sans doute d’intégrer l’embauche des prisonniers dans la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) pour permettre de favoriser et accroitre la pratique.

  • Il s’agit de repenser l’organisation des lieux de privation de liberté

Le constat dressé cause une vive inquiétude. Pour remédier à cette situation, l’Etat devrait imaginer et développer un système pénitencier efficace et bien huilé.

Pour en arriver là, il est primordial d’observer dans un premiers temps un contrôle accru des lieux de privation pour identifier les points d’amélioration. C’est le rôle du contrôleur général des lieux de privation de liberté. La mission de cette autorité administrative indépendante est de contrôler les conditions d’incarcération et de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux. Il s’agit concrètement de contrôler tous les lieux privatifs de liberté sur décision de l’autorité administrative ou judiciaire : locaux de garde à vue, prison, centre de détention pour mineurs etc. Les membres de ce service sont nommés par le Président de la République pour assurer un mandat de 6 ans qui est irrévocable. Leurs rapports débouchent parfois sur des propositions ou projets de loi.

Une fois le travail d’observation et de « lanceur d’alerte » effectué il s’agit de mobiliser l’opinion publique pour convaincre le pouvoir politique de faire du changement. La solidarité citoyenne joue un rôle primordial de mobilisation. Il existe beaucoup d’associations dont la plus connue est l’Observatoire nationale des prisons. Il y a également des associations de visiteurs de prison, dans lesquelles beaucoup de retraités s’investissent.

Comment optimiser la prison ? Les avis divergent sur cette question, quelques spécialistes incitent notamment les autorités à s’inspirer du modèle allemand pour progresser. Selon eux, la voie à suivre est celle de la réduction de peine. Chez nos voisins, le taux d’occupation est de 76%. Selon eux, le système français est défectueux l’on enferme trop la population. C’est comme si la seule représentation de la peine chez les magistrats et dans l’opinion publique était la prison. Il existe des alternatives judicieuses à la peine de prison telles que le placement en chantier extérieure, les travaux d’intérêts généraux, l’installation de bracelets électroniques… Faut-il plus de moyens pour créer plus de places ? Certains observateurs statuent sur le fait que si nous semblons incapables de rendre fonctionnelles nos prisons actuelles, à quoi bon construire de nouvelles infrastructures ? Il faudrait peut-être s’inspirer de nos voisins européens qui ont des pratiques bien différentes. Par exemple, le système britannique fonctionne avec un partenariat public-privé comme avec le groupe Sodexo. Ce mode de fonctionnement oblige l’entreprise Sodexo à être rentable, et pour qu’elle le soit, elle doit satisfaire ses clients (les prisonniers). La pression économique oblige donc les « prisons privées » à offrir des biens et services de qualité.

Edouard CABOT

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