Comment développer en France une politique de soft power cohérente?

 

 

Au tournant du XXIe siècle, le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine s’était osé à qualifier la France de “puissance moyenne à rayonnement mondial”.

Si la formule avait pu interpeller plus d’un nostalgique de la grandeur nationale passée, elle n’en demeure pas moins une fine analyse de la place qu’occupe notre notre pays sur la scène internationale.

Que ce soit sur le plan démographique, sur le plan économique ou encore militaire, la France n’est plus en mesure de rivaliser avec les mastodontes contemporains tels que les Etats-Unis, la Chine ou la Russie.

Alors oui, il est aisé d’affirmer laconiquement que le France n’est plus une superpuissance géopolitique.

Mais il serait pour autant bien réducteur que de s’en tenir à cette simple affirmation.

Depuis les années 1990, des chercheurs remettent en cause l’idée selon laquelle la puissance d’un pays serait uniquement déterminée par sa capacité d’action armée ou encore par son poids économique.

En particulier, pour l’Américain Joseph Nye, la puissance peut aussi se caractériser par “l’habileté à séduire et à attirer”: le soft power, “puissance douce”.

En écho, la formule de M. Védrine prend alors tout son sens: si la France n’a plus le même poids qu’auparavant en termes de hard power, elle n’en demeure pas moins une nation à l’aura singulière.

Aussi, c’est par ce véritable levier que constitue son unicité que le pays dispose aujourd’hui d’une marge de manœuvre lui permettant de maintenir voire d’accroître son influence sur la scène internationale.

  • Des défis de la francophonie

Parlé sur tous les continents, le français est aujourd’hui la 5e langue la plus parlée dans le monde, la 4e la plus utilisée sur Internet et la 3e dans le secteur des affaires.

Pour autant, dans certaines régions, son avenir est incertain.

En effet, séduit par le caractère international de l’anglais, les générations les plus jeunes de pays de tradition francophone se détournent de plus en plus significativement de la pratique du français.

Face à cette menace, l’une des principales réponses que pourrait adresser la France serait de renforcer sa structure d’enseignement à l’étranger. Pour que l’influence francophone demeure pérenne, il est impératif que les lycées français à l’international continuent d’attirer encore les enfants des élites locales en leur sein. 

De même, investir dans l’enseignement supérieur français afin de le rendre plus attractif à l’étranger serait un autre angle d’attaque permettant de renforcer le soft power national. En effet, si les grandes universités anglo-saxonnes attirent toujours plus d’étudiants étrangers, c’est avant tout grâce à leur haute position dans les classements d’excellence internationaux. Or, si la France possède aussi des établissements de renom, notamment dans le domaine des sciences commerciales et de l’ingénierie, c’est surtout leur visibilité à l’international qui fait défaut. Aussi, le lancement d’une politique de partenariat avec d’autres grandes universités de part le monde pourrait permettre d’attirer toujours plus de têtes bien faites sur notre sol, et par là même de diffuser à plus grande échelle la culture française.

A cet égard, il convient de rappeler que la France dispose dès à présent d’un riche réseau de représentation culturel à l’étranger, notamment à travers les Instituts français ou les Alliances françaises.

Forte de ce réseau, l’enjeu actuel serait de l’ouvrir de plus en plus aux résidents locaux plutôt que de ne servir qu’uniquement aux expatriés français.

  • Du réseau diplomatique français

Disposant d’un des réseaux consulaires les plus étoffés au monde, la France conserve une expertise de qualité, associée à une grande ancienneté, dans le domaine de l’influence diplomatique. 

Le pays reste un acteur incontournable en termes de négociations internationales: il convient de souligner que présente sur les cinq continents de part l’étendue de sa zone économique exclusive (ZEE, qui serait à l’heure actuelle la plus grande du monde), la France pèse d’un poids singulier dans les discussions concernant le Pacifique, l’Océan Indien ou encore l’Antarctique.

Cette marge de manœuvre aujourd’hui encore trop sous-estimée, bien loin des modestes frontières de l’hexagone métropolitain, est un axe de développement majeur du soft power français dans les décennies à venir. Le soutien aux populations locales, ayant trop souvent le sentiment d’avoir été délaissée par Paris est une question que les gouvernements futurs devront nécessairement traiter.

Plus encore, la France se doit aussi de continuer à soutenir davantage les nombreuses organisations non gouvernementales nationales réputées pour leurs actions à travers le monde: Médecins sans frontières, ATD Quart Monde, Reporters sans frontières… Celles-ci constituent un réseau d’influence efficace permettant à la France de disposer d’une image vertueuse sur des continents où bien des projets restent à mener.

  • De l’influence médiatique et événementielle

Quand bien même les réseaux sociaux ont bouleversé la transmission des actualités, notamment pour les jeunes générations, les médias traditionnels continuent de peser d’un poids significatif en termes de diffusion de l’information.

Il est impératif que la France continue de s’investir dans la belle voie sur laquelle elle s’était lancée ces dernières années avec la mise en place notamment de France 24 ou de TV5 Monde. Ces canaux permettent d’inscrire le pays au cœur des grands réseaux d’information mondiaux tout en transmettant une certaine idée française des actualités contemporaines.

A ce titre, la France se doit également de rester au cœur des grands événements mondiaux. L’accueil par la ville de Paris des Jeux Olympiques de 2024, s’il est souvent décrié pour son coût, a toutefois le mérite de renforcer le pouvoir d’attraction français à travers le monde. L’ensemble des initiatives de ce genre est à prendre en considération avec beaucoup de sérieux, d’autant plus lorsque l’on sait le succès qu’ont pu avoir par exemple la COP21 ou l’Euro 2016.

Mais si ces initiatives sont d’une importance non négligeable, il est aujourd’hui clair que la France ne saurait faire cavalier seul au nom du recouvrement de sa glorieuse souveraineté passée.

Le cadre européen dans lequel elle s’est inscrite et investie depuis les années 1950 lui a ouvert un nouveau champ de développement de son influence sur la scène internationale.

  • La participation de la France aux actions de l’UE: un “démultiplicateur” de moyen

L’idée selon laquelle la France à tout intérêt à s’investir de manière active dans les diverses politiques menées par l’UE a été développée par Bernard Miyet, ancien secrétaire général des Nations Unies et ancien ambassadeur français. C’est en cela que repose selon lui l’avenir du pouvoir géopolitique de notre pays. 

Bien loin de paralyser l’avancée des politiques publiques nationales, il est clair que l’UE est aujourd’hui le moyen privilégié pour les Etats membres de peser d’un poids certain sur la scène internationale.

En effet, comment la France seule pourrait-elle aujourd’hui faire entendre sa voix concernant les grands enjeux contemporains globaux tels que l’espace, les nouvelles technologies ou encore la fiscalité des multinationales?

Il est dès à présent impératif que certains politiques cessent leurs discours antagoniques tendant à la fois à décrier l’UE en ce qu’elle serait castratrice de notre souveraineté nationale et à pleurer le temps où la France était une référence de premier ordre en matière de géopolitique internationale. 

Car oui, la scène mondiale n’est plus la même qu’en 1945 et moins encore que ce qu’elle était au tournant du XXe siècle.

Des géants qui ont émergé de part le monde ont rebattu les cartes qui composaient jusque-là le jeu des relations internationales.

Et s’il est vrai que, dans le même temps, la France a renoncé à une partie de ses prérogatives en s’inscrivant dans le cadre communautaire, il semble aujourd’hui heureux qu’elle bénéficie d’une base de soutien plus large que celle du simple hexagone.

La France a tout à gagner de sa participation aux politiques de l’UE: soutien aux opérations extérieures, investissements plus pacifiés en Afrique, afin de contrer l’avancée massive sur ce continent des puissances russes et chinoises, aide au développement d’infrastructures à travers le monde…

En somme, s’il est légitime d’estimer que l’on dispose seul d’une plus grande marge de manoeuvre pour agir, il est plus judicieux de réfléchir aujourd’hui et dans le monde dans lequel nous sommes, à une politique d’influence de long terme, que seule une coopération cohérente avec nos voisins pourrait permettre de concrétiser.

 

Gaspard El-Ghoz
Chargé de Mission, CEPS

 

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