Au moment d’aborder le jour d’après, quelle dynamique adopte la Chine pour relancer son projet des Nouvelles routes de la Soie ?

 

 

Les grandes lignes des Nouvelles routes de la Soie

A travers son projet « pharaonique » des Nouvelles Routes de la Soie (ou One Belt, One Road) initiées par le Président Xi Jinping à l’automne 2013, la Chine a souhaité mettre en exergue une nouvelle dynamique de développement. Ce projet qui implique plus de 130 pays a pour objectif d’ouvrir deux grandes voies reliant l’Europe à la Chine : l’une terrestre traversant l’Asie centrale et l’autre maritime passant par l’océan Indien. Par ce maillage de routes, les dirigeants chinois entendent développer des routes commerciales avec l’Europe et le Moyen-Orient, l’Afrique et le reste de l’Asie.

Le premier volet de cet ambitieux projet est de favoriser et de sécuriser le transport de la production chinoise vers les principaux pays concernés. Le projet induit pour les pays partenaires de jouir de canaux d’échanges commerciaux privilégiés avec la Chine et de bénéficier d’investissements directs. En l’occurrence, les anciens pays satellites de l’URSS (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan et Turkménistan) se sont vus consentir des prêts colossaux pour construire des infrastructures de toute nature. Au total, on estime que la Chine aurait mis sur table entre 1000 et 4000 milliards de dollars ! Par comparaison l’équivalent du plan Marshall en dollars de 2019 représente 173 milliards de dollars[1].

Comment la Chine et ses partenaires ont appréhendé la période pandémique ?

Le virus de la Covid-19 a porté un sévère coup de frein au développement des projets dans le cadre de la BRI (Belt and Road Initiative). Dans ses dernières prévisions, la Banque mondiale prévoit une perte cumulée de plus de 10 000 milliards de dollars par rapport à la situation qui aurait prévalu sans pandémie. Par ailleurs, les investissements chinois à l’étranger se sont écroulés de même que les prêts que les banques chinoises ont consenti à des projets des « Nouvelles Routes de la Soie ». Selon un rapport de Refinitiv cité par l’Asia Nikkei Review, le nombre de projets labellisés BRI a chuté de 15,6 %, passant de 218 au premier trimestre 2019 à 184 au premier trimestre 2020.

Par ailleurs, un certain nombre de pays partenaires sont embourbés dans le fameux « piège de la dette ». Ils sont incapables de rembourser les prêts contractés auprès de la Chine pour développer leurs infrastructures commerciales. La Malaisie a récemment été contrainte d’annuler trois projets chinois, dont une ligne ferroviaire d’un coût de 20 milliards de dollars. Nombreux seraient les pays, notamment en Afrique, qui cherchent à renégocier les termes de leurs dettes. Celles-ci sous la forme d’ « accords de troc » qualifiés d’ « opaque ».

La période marque ainsi un tournant dans la stratégie de Xi Jinping sur le développement de la BRI. Le 20 novembre 2020, le Président de la RPC a souligné que sa politique de prêts aux partenaires devrait dorénavant se conformer à des normes plus strictes. Cette prudence est synonyme d’infléchissement de la politique chinoise, du fait de ses partenaires en défaut de paiement mais aussi en raison d’un endettement croissant de la Chine qui a atteint des sommets. La dette publique chinoise a grimpé ces dernières années pour atteindre 165 % de son PIB au premier trimestre 2020, pour un endettement équivalent à 150 % de son PIB à la même période en 2019, selon les chiffres de l’Institut de la Finance Internationale (IIF).

Difficultés faces aux hostilités internationales

Les critiques virulentes envers la stratégie offensive de la BRI gagnent du terrain. En effet, la Chine effraie dans la façon dont elle tente de « s’approprier » le patrimoine économique d’un État. L’expansion du China-Myanmar Economic Corridor (CMEC), un couloir économique sino-birman intégré à la BRI, a amené le gouvernement birman à s’en plaindre. La République islamique du Pakistan s’est émue elle aussi notamment du sors de Gwadar. Cette cité portuaire située non loin du détroit d’Ormuz dans le golfe Persique permet notamment de relier le Xinjiang chinois enclavé à l’océan Indien. Si le port, encore en chantier, à Gwadar appartient à son Autorité portuaire, une entité publique pakistanaise. En revanche, sa gestion quotidienne ces quarante prochaines années incombera à la Chine. Alors que ce type de projet devait générer des emplois et apporter de la prospérité à toute la province du Baloutchistan, les plans concernant le « Gwadar 2.0 » ne semblent pas faire de place aux populations locales.

L’hostilité internationale grandissante mérite donc d’être soulignée. L’Australie a résilié récemment deux accords signés par l’Etat du Victoria afin de rejoindre le projet chinois de la BRI. « A travers les “routes de la soie”, la Chine cherche à créer une économie mondiale centrée sur ses intérêts propres et dont le reste du monde dépendrait en en grande partie. Pour atteindre ses objectifs et reléguer les oppositions au second plan, elle mise sur la division. Dans le cas de l’Australie, si elle ne peut l’éloigner des Etats-Unis, elle tente de créer des clivages internes.

Le sursaut de la Chine

Cependant la crise sanitaire a largement accéléré l’importance accordée au volet sanitaire du gouvernement, qui a fait la promotion de la « route de la santé », voie économique de substitution aux marchés impactés par la crise. L’expertise médicale chinoise s’est développée avant les autres pays car la Chine a été la première impactée par les retombées du virus. Mais surtout, le pays a réussi à augmenter rapidement la production et les stocks d’équipements de protection. La Chine tente de s’imposer comme le partenaire commercial le plus légitime en matière d’exportation de produits sanitaires afin d’accroître son influence économique mondiale. On observe une augmentation significative du montant des exportations au moment du premier pic de la crise européenne, au 1e semestre 2020. Durant cette période, les exportations chinoises en matière de produits sanitaires ont été multipliées par quatorze ! Ces importations ont bondi de 51,1 % depuis 2021, soit la progression la plus rapide depuis 2011. Un an plus tôt, en mai 2020, les importations avaient marqué un repli de 14,2 %, lorsque l’économie chinoise sortait de sa paralysie pour cause d’épidémie. Dans l’autre sens, les ventes de produits chinois à l’étranger auraient connu le mois dernier une hausse de 27,9 % sur un an, selon les estimations des douanes chinoises.

La pandémie de la Covid-19 est venue très concrètement remettre en question le développement du projet des Nouvelles Routes de la Soie. La problématique des dettes et les arrêts de chantiers ont provoqué des baisses d’investissements. Néanmoins, le développement des Nouvelles routes de la Soie prévu sur le long terme n’est pas intrinsèquement menacé par la pandémie. La Chine parviendrait même à tourner l’épidémie mondiale à son avantage comme en témoigne le développement d’une “nouvelle route de la santé”. Finalement, l’Empire du milieu garde le cap au moment où la croissance mondiale est historiquement basse. La BRI demeure un système de développement « autoritaire » et la pratique néocolonialiste de la Chine lui attire les foudres internationales.

Edouard CABOT

[1] Deux institutions financent ces projets : la New Silk Road Fund (NSRF) et The Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB)

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