L’Homme : une future commodité ?

Par Loic TRIBOT LA SPIERE, Délégué général du CPES et Olivier PETROS, Dirigeant dans l’industrie
 
La question qui va se poser avec plus d’acuité dans les années qui viennent, n’est pas uniquement celle de la raréfaction tendancielle du travail mais, aussi fondamentalement que celle du futur format du travail, celle de sa nature et de son mode d’intervention. Les évolutions, les ruptures technologiques, auront certes un impact sur les façons de concevoir, de produire, de travailler. Elles contribueront à minorer ou supprimer certaines tâches, et modifieront en réalité périmètres et substance des emplois.
 
Selon un récent rapport du conseil d’orientation pour l’emploi (COE), environ 10 % de l’activité travaillée aujourd’hui pourrait disparaitre, soit 1,5 million de postes.
 
Bien sûr, d’autres métiers naitront, d’autres opportunités apparaitront…: si le progrès technique tuait à lui seul l’emploi, depuis le silex, nous serions depuis bien longtemps tous au chômage. Le progrès technique induit avant tout de la transformation. Soulignons cependant que cette transformation, dorénavant vitale, sera brutale et rapide et, pour une tranche d’âge, se posera la question de son adaptation, de sa reconversion le cas échéant, dans un univers économique et industriel en permanente mutation-restructuration.
 
Ces évolutions techniques et technologiques redimensionneront le périmètre d’ « emploiement » des entreprises mais aussi amorceront au nom de la survie dans la durée, un nouveau lien travaillé.
 
La robotisation, la digitalisation sont une première étape au service de la compétitivité, de l’entreprise considérée comme « essentielle ». L’environnement technologique, mais aussi sociétal, géostratégique… sera dorénavant continument disruptif. Avec une vélocité, une volatilité et une ampleur accrue.
 
Ces changements augurent d’autres changements, qui d’ailleurs étaient perceptibles, et qui devraient s’accentuer significativement dans les années qui viennent.
 
Face à l’enjeu de réactivité et d’adaptabilité, l’entreprise de demain devra être en transformation permanente. Pour gagner en souplesse, pour répondre avec plus d’efficacité aux exigences et aux aléas ou revirements du marché, elle devra être agile, et donc en premier lieu « légère ». On peut la prédire largement plus « resserrée », autour d’une équipe de direction salariée, de management, associée à des intérimaires, des prestataires, des travailleurs indépendants, des ouvriers, des cadres supérieurs extérieurs. La possibilité d’une irrigation permanente en informations permettra un fonctionnement désormais plus en système vivant, en réseau, qu’en construction minérale stratifiée. Un « éco système partenarial », le plus souvent par fonctionnalité, entamera chaque jour plus les frontières : celles du « dedans – dehors », celles du « Top down – Bottom up », mais encore les frontières vie privée – vie professionnelle.
 
Vision « asset light », les ressources étant autant externes qu’internes, réunions virtuelles, travail à distance, immédiateté… toutes ces évolutions posent naturellement la question de l’emploi et de son avenir tel qu’il est vécu aujourd’hui.
 
On peut raisonnablement prédire qu’il devrait être plus fréquemment à durée déterminée : l’emploi à la mission ou au projet, effectués soit dans le cadre d’un travail d’intérim, soit d’une prestation effectuée par un auto-entrepreneur. En 2014, l’Emploi salarié en France représentait déjà 11,5 % du marché du travail. Les embauches en CDD d’un mois au moins sont passées, en 2016, de 1,5 million par trimestre à plus de 4 millions tandis que celles de plus d’un mois n’ont pas augmenté (soit 1 million) !
 
Les questions qui se posent sont nombreuses. Jusqu’à quel niveau les externalités travaillées vont-elles se développer ? Comment envisager un parcours professionnel dans un contexte particulièrement mouvant et changeant ?De quelles manières envisager sa vie économique, personnelle ? Quel système de protection sociale pérenne envisager dans un cadre de travail à durée multi déterminé et à rupture fréquente ? Quel rapport d’autorité établir ? Comment assurer de la cohésion et de la cohérence dans une entreprise morcelée ? L’entreprise devenant moins un lieu simplement physique, mais aussi un projet, se poseront aussi les questions d’adhésion et de partage de la mission et des valeurs.
 
De vraies questions auxquelles il convient, dès à présent, de répondre avec lucidité. La compétitivité ne saurait naturellement être un prétexte recevable pour réduire l’Homme à terme en simple « commodité ». L’Homme est et doit demeurer au cœur de toute chose ! Reste à penser comment.
 
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