E-santé : la psychologie avant la technologie !

Par Olivier GRYSON, adhérent et conseiller du club E-Santé du CEPS

 
A l’heure où l’industrie pharmaceutique signe accord sur accord avec les géants de la technologie Google et autres IBM pour créer un monde encore plus technologique, encore plus connecté, avec encore plus de capteurs et de numérique, je repense à cette phrase entendue à l’occasion d’un hackathon : « êtes-vous prêt à vivre dans le monde que vous construisez ? ».
 
Pas vraiment si l’on se place du côté des patients ! Une étude récente parue dans le JAMA, une publication médicale très réputée a montré l’inefficacité des piluliers connectés et autres machins numériques pour rappeler aux patients de bien prendre leurs médicaments. Or l’inobservance médicamenteuse dans les maladies chroniques est dramatiquement élevée (environ 50%) dans tous les pays, indépendamment des systèmes de santé ou du coût des traitements. Pourquoi ? Tout simplement parce que la plupart des patients inobservants sont parfaitement conscients de ne pas prendre leur médicaments. Or nombreuses sont les solutions thérapeutiques dites « d’amélioration de l’observance » qui se contentent de pallier à des problèmes d’étourderie en tournant le dos au vrai problème qui mine le traitement à vie de nombreuses maladies : la psychologie !
 
Pour tenter de pallier aux problèmes d’observance médicamenteuse et pour tenter d’accompagner les patients dans le difficile changement des habitudes de vie, il convient de faire preuve de psychologie. Le problème est que cette discipline, cette science humaine, n’est non seulement pas considérée par le corps médical qui préfère des sciences plus pures comme les mathématiques, la physique, ou encore la chimie mais plus grave encore, elle n’est pas (ou que trop peu) enseignée à la faculté.
 
C’est ainsi qu’en 6 ans de pharmacie, je n’ai pas le souvenir d’avoir eu ne serait-ce qu’une seule heure de cours de psychologie et de fait je n’ai été formé pour ne traiter que la moitié des patients ou certains diront plus cyniquement des « cas cliniques ». Un médicament est une pièce de lego qui vient se fixer sur un récepteur dans une sorte de vide intersidéral, laissant de côté toute l’irrationalité et l’imprévisibilité de l’esprit humain.
 
Mes amis médecins ne sont pas logés à meilleure enseigne. C’est ainsi qu’on relèvera que sur les 72 pages des recommandations européennes de prise en charge de l’hypertension artérielle, la sacro-sainte bible pour traiter n’importe quel type d’hypertension artérielle, y compris les cas les plus rares et les plus compliqués, rien ou presque, si ce n’est un tableau et quelques phrases éparses, ne vient réellement aider le médecin à convaincre le patient de prendre ses médicaments. Une phrase ici précise qu’à 6 mois un tiers des patients a abandonné et la moitié à un an et une autre là qu’il faut améliorer la communication avec le patient. Du management de l’hypertension, nous devons évoluer vers le management du patient hypertendu.
 
Et c’est justement là que la e-santé peut aider.
 
Elle offre l’exceptionnelle capacité à industrialiser la personnalisation de la communication vers chaque patient pour espérer activer chez chacun d’entre eux ses propres leviers psychologiques. Les prochaines solutions digitales d’amélioration de l’observance et des habitudes de vie doivent donc s’affranchir de l’état d’esprit du « capteur connecté à un système de rappel » mais surtout soutenir et s’adosser à une démarche psychologique. Souvenons-nous que l’été dernier, par une approche gamifiée, le jeu Pokemon Go a incité des millions de personnes à marcher (+26% d’activité physique supplémentaire chez les joueurs les plus actifs) en leur procurant du plaisir plutôt que des chiffres et des alarmes. Il s’agissait incontestablement de l’une des initiatives les plus efficaces jamais rencontrées en médecine pour influencer positivement les règles hygiénodiététiques, même si ce n’était clairement pas l’objectif premier des concepteurs de ce jeu.
 
C’est dans ce sens qu’il ne reste plus qu’à transformer l’essai.
 
O. G.
 
Références
 
Effect of Electronic Reminders, Financial Incentives, and Social Support on Outcomes After Myocardial Infarction: The HeartStrong Randomized Clinical Trial.
Volpp KG, Troxel AB, Mehta SJ, Norton L, Zhu J, Lim R, Wang W, Marcus N, Terwiesch C, Caldarella K, Levin T, Relish M, Negin N, Smith-McLallen A, Snyder R, Spettell CM, Drachman B, Kolansky D, Asch DA.
JAMA Intern Med. 2017 Jun 26. doi: 10.1001/jamainternmed.2017.2449. [Epub ahead of print]
 
2013 ESH/ESC guidelines for the management of arterial hypertension: the Task Force for the Management of Arterial Hypertension of the European Society of Hypertension (ESH) and of the European Society of Cardiology (ESC).
Mancia G et al
Eur Heart J. 2013 Jul;34(28):2159-219. doi: 10.1093/eurheartj/eht151. Epub 2013 Jun 14. No abstract available.
 
Influence of Pokémon Go on Physical Activity: Study and Implications.
Althoff T, White RW, Horvitz E.
J Med Internet Res. 2016 Dec 6;18(12):e315.
 
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